
Charles IX
10/04/2017 14:04
Charles IX | ||
![]() Charles IX de France, d'après François Clouet, huile sur bois, Versailles, Musée national du château. |
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Titre | ||
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Roi de France | ||
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(13 ans 5 mois et 25 jours) |
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Couronnement |
, en la cathédrale de Reims |
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Régent | Catherine de Médicis (1560-1563) | |
Prédécesseur | François II | |
Successeur | Henri III | |
Duc d'Orléans | ||
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Prédécesseur | Louis de France | |
Successeur | Henri de France | |
Biographie | ||
Dynastie | Valois Angoulême | |
Nom de naissance | Charles-Maximilien de France | |
Date de naissance | ||
Lieu de naissance | Saint-Germain-en-Laye(France) | |
Date de décès | (à 23 ans) | |
Lieu de décès | Vincennes (France) | |
Sépulture | Basilique de Saint-Denis | |
Père | Henri II de France | |
Mère | Catherine de Médicis | |
Conjoint | Élisabeth d'Autriche | |
Enfants | Marie-Élisabeth de France Illégitime: Charles d'Angoulême |
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Héritier | Henri de France (1560-1574) | |
Résidence | Château de Blois Château de Fontainebleau Château de Saint-Germain-en-Laye Château de Madrid |
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Rois de France |
Charles IX de France, né le
au château royal de Saint-Germain-en-Laye et mort à 23 ans et 11 mois le
au château de Vincennes, est roi de France de 1560 à 1574.
Il est le quatrième roi de la famille des Valois-Angoulême. Fils d'Henri II et de Catherine de Médicis, il succède à son frère François II à l'âge de dix ans et meurt sans enfant mâle légitime à l'âge de vingt-trois ans.
Sous son règne, le royaume est déchiré par les guerres de religion, malgré tous les efforts déployés par sa mère Catherine pour les empêcher. Après plusieurs tentatives de réconciliation, son règne déboucha sur le massacre de la Saint-Barthélemy.
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CHARLES IX
Regardez le buste de cet enfant royal, qui sera plus tard connu dans l’histoire sous le nom sinistre de Charles IX, l’homme de la Saint-Barthélémy, le roi assassin de ses sujets ; il n’y a dans ses traits, ni dans sa physionomie, rien qui indique un Caligula ou un Néron. Pour échapper à sa fatale destinée, il lui aurait fallu pour mère ou une Blanche de Castille ou une Jeanne d’Albret ; mais jeté par sa naissance dans la famille des Valois, et ayant pour mère la Florentine Catherine de Médicis, il respira, de bonne heure, l’air empoisonné des cours. Son éducation fut détestable, et ses instincts mauvais, en se développant, furent pour son cœur ce que les mauvaises herbes sont pour le champ, où la main du semeur a jeté du pur froment. On ne lui apprit rien de ce qu’un roi doit savoir pour gouverner son royaume avec équité et sagesse. Sa mère le voulut ainsi, afin de gouverner pendant que son fils régnerait. Son ambition insatiable lui fit oublier qu’elle était mère, et pendant que Jeanne d’Albret s’efforçait d’inspirer des sentiments nobles et grands à ses enfants, Catherine s’ingéniait à corrompre les siens ; aussi on est saisi d’une profonde indignation contre cette Italienne et d’une immense compassion pour le jeune Charles IX, héritier de quelques-unes des qualités brillantes de sa famille. Comme la gracieuse Marguerite de Valois, la noble sœur de François Ier, il cultivait avec succès la poésie, trop heureux s’il ne s’était pas trouvé en naissant sur les marches d’un trône. La France n’aurait pas eu un Charles IX et compterait un bon poète de plus, témoin les vers que le fils de Catherine de Médicis adressa au poète Racan.
Charles IX, à peine âgé de dix ans, succéda, en 1559, à François II, son frère. Sa mère, nommée régente, prit les rênes du royaume dans des circonstances bien difficiles. Les Guises, un moment tombés du pouvoir, ne tardèrent pas à y remonter, et jetèrent la France dans les hasards calamiteux des guerres civiles, durant lesquelles protestants et catholiques s’entretuèrent. Si Poltrot n’avait assassiné François de Guise, ce dernier serait devenu le maître de la France, et le protestantisme aurait probablement subi un échec dont il ne se serait pas relevé, parce que les promesses que Dieu fait à ceux qui, pour combattre, se servent de l’épée de l’esprit, ne sont pas faites à ceux qui manient l’épée de fer. Or, sous le règne de Charles IX, les huguenots étaient devenus un parti politique : ils étaient soldats et non martyrs ; ils mouraient sur des champs de bataille, et l’ère glorieuse des Louis de Berquin, des Caturce, des étudiants de Lyon, avait malheureusement fait place à une ère de combats. Nous ne raconterons pas en détail la vie de Charles IX, nous nous bornerons à retracer deux grandes pages de son histoire ; dans l’une, nous parlerons de la Saint-Barthélémy, dans l’autre, de sa mort.
Après bien des combats, où les protestants étaient souvent vaincus, les parties belligérantes avaient signé, en 1570, la paix de Saint-Germain. Cette fois, les huguenots croyaient que désormais l’ère des guerres civiles était passée sans retour, et que, si jamais ils reprenaient les armes, ce serait pour combattre l’étranger ; tout le leur laissait croire. Catherine de Médicis attirait à sa cour la gentilhommerie protestante, la flattait et lui donnait de brillantes fêtes ; aux horreurs de la guerre civile avaient succédé les plaisirs sans cesse renaissants de Paris et des châteaux royaux. Bien plus, une fille de France, Marguerite de Valois, la sœur de Charles IX, était fiancée à un prince huguenot, Henri de Béarn, le fils de Jeanne d’Albret. Cette union n’était-elle pas la preuve la plus irrécusable des loyales intentions de la cour ? Et quand le pape avait fait des difficultés pour permettre le mariage, Charles IX n’avait-il pas dit devant tous ses courtisans :
« Si Monsieur le pape fait la bête, je prendrai Margot {1} par la main et je la conduirai moi-même au prêche. » Les noces devaient se célébrer au mois d’août 1572, et à cette occasion, de grands préparatifs se faisaient pour fêter une union qui devait cimenter la paix entre la famille royale et la puissante et noble maison des Bourbons. Les gentilshommes huguenots, qui avaient exposé leur vie dans plus de cent combats, se disposaient à paraître avec éclat à cette fête ; ils avaient tout oublié, tout pardonné : le Français est si généreux !
Un événement vint cependant obscurcir l’horizon si pur, si brillant. Jeanne d’Albret, qui avait quitté son Béarn pour venir à Paris assister aux noces de son fils, mourut presque subitement à la fleur de son âge. Des bruits sinistres circulèrent ; on crut à un empoisonnement, et les soupçons se portèrent sur Catherine de Médicis, tant sa réputation était mauvaise ! mais peu à peu ils se dissipèrent, et quelques jours ne s’étaient pas écoulés qu’on avait oublié la pieuse reine de Navarre, et la cour ne pensait qu’aux plaisirs que Catherine de Médicis lui promettait à l’occasion des noces de sa fille. Un homme cependant manquait au rendez-vous général de la noblesse huguenote, c’était Coligny. Ce grand homme vivait retiré dans son manoir de Châtillon-sur-Loing. La cour bruyante et dissipée des Valois ne convenait ni à ses goûts, ni à son austérité. Il ne se montrait donc pas empressé de répondre aux invitations du jeune Charles IX et de sa mère. Leurs instances furent si vives que le noble amiral crut qu’il manquerait à ses devoirs de loyal et fidèle sujet envers son jeune souverain, s’il persistait plus longtemps dans son refus. Il se disposa donc à quitter sa retraite pour se diriger vers Paris ; ses amis s’alarmèrent. « N’allez pas à la cour, lui dirent-ils, Catherine de Médicis vous tend un piège ; sous ses flatteries, il y a un venin de mort. » Coligny se montra sourd à leurs prières et se rendit à la cour où il reçut un accueil distingué ; la reine et son fils le comblèrent, la première, de politesse, le second, d’amitié. Charles IX était sincère ; au contact journalier du noble amiral, les instincts généreux de sa nature reprirent peu à peu le dessus ; il comprit et sentit que ce Coligny qu’on lui avait si souvent dépeint comme un rebelle était le plus grand comme le plus fidèle de ses sujets. Ce qui enthousiasmait le jeune roi, c’était le patriotisme ardent et éclairé de l’amiral, qui lui faisait comprendre que le moment de rendre à la France le prestige qu’elle avait perdu était arrivé. « Il faut, lui disait Coligny, abaisser l’Espagne en lui portant un coup mortel dans les Flandres ; c’est là qu’elle est vulnérable ; la France gagnera alors en grandeur tout ce que Philippe Il perdra en puissance. »
Peu de jours s’étaient écoulés depuis l’arrivée de Coligny et Catherine commençait à s’apercevoir que l’amiral tirait à lui toute la confiance que son fils lui accordait ; elle s’en alarma ; et quand elle vit le roi résolu à attaquer l’Espagne dans les Flandres, elle appela auprès d’elle le jeune duc d’Anjou, devenu depuis Henri III. « Mon fils, lui dit-elle, Coligny est déjà en possession de la confiance de votre frère ; encore quelques jours, et il sera ici seul maître ; que ferons-nous ? » La mère et le fils, après s’être concertés, se décidèrent à se défaire de l’amiral, et s’adjoignirent Henri de Guise, qui plus tard fut assassiné au château de Blois par ce même duc d’Anjou, alors son roi, aujourd’hui son complice. On se servit d’un aventurier, nommé Maurevert, qui accepta avec empressement la sinistre mission de tuer l’amiral. Il prit habilement ses précautions ; pendant trois jours il fut à l’affût de sa proie ; le 22 avril, elle fut à la portée de son arquebuse : il visa, lâcha la détente, le coup partit. « Je suis blessé ! » cria Coligny, en montrant de sa main ensanglantée l’endroit d’où le coup était parti. Puis il regagna son hôtel avec ses gens, qui frémissaient de colère .
Quelques moments après, le roi, qui jouait à la paume, apprit la nouvelle de l’attentat. « Par la mort-dieu ! s’écria-t-il, n’aurai-je donc jamais de repos ? » De colère, il brisa sa raquette, et se retira triste et abattu dans son cabinet.
Les complices de Maurevert étaient consternés, et les huguenots, se voyant trahis, mettaient déjà la main sur la garde de leur épée. Quant au roi, il se sentait blessé dans la personne de Coligny, et menaçait de sa colère royale les coupables ; mais il était loin de se douter que les plus grands étaient sa mère et son frère. Revenons à Coligny ; arrivé à son hôtel, il se coucha et appela le célèbre chirurgien Ambroise Paré, pour sonder et panser sa blessure. L’opération fut longue et douloureuse ; l’amiral la supporta avec un rare héroïsme, calme et paisible, pendant que ses amis et ses serviteurs fondaient en larmes. Dans ce moment douloureux, ce grand homme ne pensa qu’à sa patrie et nullement à lui et à sa famille. Craignant que la balle qui l’avait atteint n’ait été empoisonnée, il chargea son gendre Téligny de prier le roi de vouloir bien venir le visiter, « car il avait à lui communiquer des choses que nul n’oserait lui dire. »
Charles IX se rendit au désir de son fidèle sujet, et il se dirigea vers son hôtel, accompagné de sa mère et du duc d’Anjou, son frère.
L’entrevue fut touchante ; Charles IX qui était sincère, exprima à Coligny la douleur profonde qu’il ressentait de l’attentat dont il avait été la victime. « À vous, dit-il à l’amiral, la blessure, à moi, l’injure ; mais, par la mordieu ! j’en tirerai bonne vengeance. » Il fit un signe de la main et ordonna à sa mère et à son frère de se retirer au fond de l’appartement, parce qu’il voulait s’entretenir seul avec l’illustre blessé ; ils obéirent. Coligny donna de bons et patriotiques conseils à son jeune souverain, qui l’écoutait avec une grande attention.
Catherine de Médicis, qui redoutait de voir trop longtemps son fils tête à tête avec l’illustre blessé, lui dit : « Mon fils, vous fatiguez Monsieur l’amiral ; ses médecins trouveront mauvais que vous le fassiez trop parler ; remettez cela à une autre fois. »
Le roi, contrarié de cette interruption, crut devoir obéir à sa mère ; il prit affectueusement congé de celui qu’il appelait son père.
Pendant le trajet de l’hôtel de l’amiral au Louvre, Charles IX gardait le silence et ne répondait pas aux questions que lui faisait sa mère, celle-ci insistant pour savoir ce que Coligny lui avait dit : « il m’a conseillé, lui répondit le roi impatienté, de ne pas vous laisser prendre trop d’empire dans mon royaume, ce qui lui est très préjudiciable ; eh bien, mordieu ! puisque vous avez voulu le savoir, voilà ce que m’a dit l’amiral, voulant avant sa mort m’avertir, comme l’un de mes meilleurs et plus fidèles sujets. »
Le roi prononça ces paroles avec une fureur concentrée qui fit trembler sa mère et son frère. Il rentra dans ses appartements, où ils n’osèrent le suivre.
Anjou et Catherine ne dormirent pas la nuit qui suivit cette mémorable séance. Ils eurent, comme le rapporte une relation, martel en tête. La reine profita de son insomnie pour chercher un moyen de se défaire de l’homme qui mettait une barrière à son ambition ; elle le trouva. « Ce que Maurevert, se dit-elle, n’a pu faire, Charles IX le fera. » Levée de bon matin, elle réunit dans son cabinet le duc d’Anjou et quatre hommes plus pervertis les uns que les autres : le duc de Nevers, le maréchal de Tavannes, le chancelier Birague et le comte de Retz, l’homme auquel elle avait livré Charles IX enfant pour le corrompre. Après s’être concertés, sans cependant que la reine leur ait dévoilé le fond de sa pensée, ils se rendirent dans le cabinet du roi, qui, dès ce moment, fut entouré de six démons, sans avoir près de lui un sage conseiller pour lui montrer, l’abîme au fond duquel son honneur allait s’engloutir pour toujours.
À leur vue, le roi se troubla ; instinctivement il sentit que quelque chose de sinistre les amenait dans son cabinet.
Sa mère, en l’abordant, lui dit : « Sire, les protestants, à l’occasion de la blessure de l’amiral, s’arment ; il a commandé une levée de 10 000 hommes en Allemagne. » C’était faux.
Charles IX parut surpris.
« La plupart des capitaines huguenots sont partis pour faire des levées dans le royaume. » C’était encore faux.
La surprise du roi s’accrut ; il n’eut pas l’idée que sa mère puisse le tromper ; un premier doute se glissa dans son cœur. « L’amiral, se dit-il, m’aurait-il trompé ? »
Catherine continua : « Le rendez-vous est déjà donné ; et vous, Sire, où sont vos trésors, où sont vos armées ? »
Charles IX stupéfait se crut sous le poids d’un rêve.
Sa mère s’en aperçut, et profitant avec une habileté infernale des doutes qui commençaient à germer dans l’esprit de son fils touchant la fidélité de l’amiral, lui dit avec un accent d’autorité qui le fit trembler : « Les catholiques sont fatigués de l’insolence des huguenots ; si vous ne voulez pas être leur chef, eh bien ! ils en choisiront un autre » ; et sans le nommer, elle indiqua le jeune duc d’Anjou.
Le roi lança un regard farouche sur son frère.
« Encore quelques instants et vous vous trouverez seul. Paris est sous les armes. »
— « J’avais défendu qu’on s’arme, » dit le roi.
— « Les quartiers sont armés » répondit froidement Catherine.
Le roi pâlit d’étonnement et de colère. Catherine s’enhardit : « Un coup d’épée peut tout terminer. »
Charles IX la regarda avec étonnement ; il ne comprenait pas.
Elle nomma alors l’amiral, en lui rappelant brièvement les temps et les lieux où il avait failli devenir son prisonnier.
Cette fois le serpent mordit bien.
Charles demanda aux assistants leur avis. Il y eut d’abord une certaine hésitation ; ces hommes, quelle que soit leur dépravation, hésitaient devant un lâche assassinat ; mais leurs mauvais instincts prirent le dessus, et finirent par déclarer que la mort de l’amiral importait au salut du trône et à la prospérité de l’Église.
Charles IX était revenu à ses hésitations ; il prenait sa tête entre ses mains, en s’écriant avec douleur : « Mais l’amiral ! mais Téligny ! mais La Rochefoucauld ! mais mes amis ! »
— « Sire, lui dit froidement sa mère, permettez-nous de sortir. » En disant ces mots, elle regarda avec une intention marquée le duc d’Anjou.
Charles IX crut voir dans son frère l’homme que les catholiques allaient mettre à leur tête. Alors, fou furieux, il s’écria, en sortant de son cabinet : « Puisque vous voulez tuer l’amiral, tuez-le, je le veux bien, puisque vous le trouvez bon ; mais aussi tous les huguenots de France, afin qu’il n’en demeure pas un seul qui puisse me le reprocher. »
Les complices étaient maîtres du champ de bataille, et avaient obtenu du roi plus qu’ils ne lui avaient demandé. Il ne s’agissait plus de l’assassinat de l’amiral, mais d’un massacre en grand qu’il s’agissait d’organiser. Le moment était des plus propices ; on vivait au milieu des fêtes à l’occasion du mariage de Henri de Béarn, devenu roi de Navarre par la mort de sa mère. La fleur de la gentilhommerie huguenote était à Paris, logée en grand nombre au Louvre. Ce que les capitaines catholiques n’avaient pu faire sur les champs de bataille, des assassins allaient, le poignard à la main, l’accomplir dans le silence et les ombres de la nuit.
Catherine et ses complices appelèrent auprès d’eux Henri de Guise et d’autres personnages, et se distribuèrent les rôles, afin que le massacre se fit avec régularité ; Catherine qui, après la tuerie, voulait que l’odieux en retombe sur les Guises, assigna à Henri, le chef de la famille, jeune homme de vingt ans, la place d’honneur. Il fut chargé de tuer Coligny.
La nuit couvrait de ses voiles Paris, quand tout à coup le silence des environs du Louvre fut troublé par le son sinistre des cloches de l’église de Saint-Germain-l’Auxerrois, chargées de donner le signal du massacre. Les sicaires de Catherine étaient prêts ; chacun se rendit au poste qui lui était assigné. Suivons Henri de Guise. Il se dirigea avec sa troupe vers l’hôtel de Coligny. L’amiral avait alors près de lui son chirurgien, Ambroise Paré, et son ministre Merlin ; l’un veillait sur son corps meurtri, l’autre fortifiait son âme par la Parole de vie. Le noble vieillard, après l’entretien qu’il avait eu avec son jeune roi, rêvait des jours meilleurs pour la France et ouvrait son cœur à l’espérance, joyeux de voir un terme à ces guerres civiles qui avaient ensanglanté le sol français. Tout à coup il entend du bruit ; il tend l’oreille ; le bruit s’approche. « C’est une émeute, » dit-il. La porte de son hôtel est enfoncée ; on entend des pas retentissants sur le pavé de la cour ; des coups de feu partent. « Priez, » dit l’amiral au ministre Merlin. Celui-ci fléchit le genou, et prie comme on prie à l’heure des dangers. L’un de ses gentilshommes entre, et d’une voix dans laquelle il fait passer toute sa terreur, il s’écrie : « Monseigneur, c’est Dieu qui nous appelle ! »
— « Il y a longtemps, lui répond le vieillard, que je suis prêt » ; et oubliant son propre danger pour ne penser qu’à celui de ses serviteurs, il les oblige à s’enfuir ; un seul refuse.
Besme, le familier de Henri de Guise, suivi de quelques sicaires, enfonce la porte de sa chambre. « Es-tu, lui dit-il, Coligny ? »
— « C’est moi », lui répond le vieillard.
Besme lui enfonce un pieu dans la poitrine en proférant d’horribles jurements.
Henri de Guise attendait le dénouement du drame. « Est-ce fait ? » cria-t-il à Besme.
Au même instant un corps lancé d’une fenêtre rebondit lourdement sur le pavé de la cour ; c’était celui de l’amiral.
Guise contempla pendant quelque temps le visage de Coligny, puis il poussa le corps du pied ; l’un des aides de Besme coupa la tête du cadavre et la porta à Catherine de Médicis ; présent digne d’elle.
La mort de l’amiral fut le signal du massacre ; il se passa des choses horribles, si horribles que la nuit de la Saint-Barthélémy peut être citée comme celle qui fut témoin de l’un des plus grands crimes qui aient souillé les annales de l’histoire ; les meurtriers pénétraient dans toutes les maisons où il y avait un gentilhomme ou un bourgeois à assassiner. Les infortunés ! ils s’étaient endormis sous la foi des traités ; nul d’entre eux n’avait eu la pensée que le monarque, au nom duquel on les assassinait, en avait donné l’ordre. Pour eux, le réveil, c’était la mort ; une mort horrible. Les uns la recevaient résignés, courbant la tête sous le couteau ; les autres vendaient chèrement leur vie ou cherchaient leur salut dans une fuite le plus souvent impossible.
Pendant le massacre, le malheureux Charles IX était hors de lui, fou furieux, pris d’une ivresse de sang ; il aurait, si nous devions en croire certains historiens, arquebusé les malheureux protestants qui fuyaient son Louvre et cherchaient à sauvegarder leur vie en traversant la Seine à la nage.
Pendant plusieurs jours Paris offrit l’aspect d’un champ de bataille ; on jetait les tués dans de grandes fosses qu’on recouvrait de terre, et le clergé catholique chantait dans ses églises des Te Deum pour remercier Dieu d’avoir délivré la France de l’hérésie huguenote. Quand la nouvelle du massacre parvint à Rome, le pape et ses cardinaux ne surent contenir leur joie ; l’église de Saint-Pierre fut brillamment illuminée et un service solennel d’actions de grâces fut publiquement rendu à Dieu ; service horrible, digne de Moloch, et outrage à Celui qui s’appelle un Dieu d’amour et de charité.
Un volume suffirait à peine, s’il fallait raconter les scènes horribles qui se passèrent à Paris et dans les provinces, notamment à Lyon, où le massacre fut relativement aussi grand que dans la capitale. Pendant plusieurs semaines, le Rhône roula dans ses flots ensanglantés des cadavres ; il en échoua un si grand nombre à Tournon, qu’on vit ses habitants, armés de longues perches, les rejeter au milieu du courant du fleuve, qui les porta à Arles. Leur sinistre arrivée inspira une telle horreur aux habitants de cette petite ville que pendant plusieurs mois ils ne voulurent pas boire des eaux du fleuve.
La nouvelle du massacre des protestants retentit comme un coup de tonnerre dans les États protestants. La reine Elisabeth reçut en grands habits de deuil l’envoyé de Charles IX, chargé d’apprendre à la reine d’Angleterre que son maître n’avait pas frappé les protestants comme protestants, mais comme rebelles. C’était une odieuse calomnie ; mais il ne faut pas s’en étonner : le mensonge fut toujours le manteau du crime.
La tuerie de la Saint-Barthélémy ne profita pas matériellement à Charles IX. Après le premier moment donné à l’effroi, les protestants, saisis de la plus légitime indignation qui fût jamais, saisirent leurs armes, en s’écriant : « Mieux vaut mourir sur un champ de bataille que sous le coup de poignard de nos assassins ! » La Rochelle, ville protestante, ferma résolument ses portes, et au moment où Catherine de Médicis croyait jouir en paix, au milieu des délices de sa cour, des fruits de ce qu’elle appelait sa victoire, il fallut mettre les armées royales sous les armes, pour vaincre ceux qu’elle ne pouvait plus faire assassiner.
Depuis le jour où le malheureux Charles IX, trompé par sa mère, avait dans un moment de fureur irréfléchie, donné le signal d’assassiner ses sujets protestants, une morne tristesse s’était emparée de lui ; rien ne pouvait le distraire, si ce n’est la chasse, à laquelle il se livrait avec fureur. Quelquefois, armé d’un marteau, il frappait sur une enclume jusqu’à ce que son corps soit tout en nage et qu’il tombe épuisé de fatigue. Chacun, en le voyant, pressentait sa fin prochaine, tant il était maigre, pâle, défait ; on disait à voix basse qu’un poison lent consumait sa vie. On a même cru que sa mère n’aurait pas été étrangère à ce crime ; mais ici les preuves manquent plus encore qu’à l’égard de la mort de Jeanne d’Albret, et la mère de Charles IX a commis d’ailleurs assez de crimes sans qu’on lui en attribue de nouveaux. On ne sait ce que le jeune roi aurait fait si la maladie n’avait tari en lui les sources de la volonté ; peut-être aurait-il voulu, aux yeux de la postérité, se laver du sang innocent répandu à flots à l’époque de la Saint-Barthélémy, et le faire retomber sur la tête de ceux qui, par leurs odieux mensonges, l’avaient poussé à être l’assassin de ses innocents et infortunés sujets. Mais, hélas ! il y a de ces péchés qui attirent la mort du corps sur ceux qui les commettent ; celui de Charles IX ne serait-il pas de ce nombre ? Quoi qu’il en soit, le lit de mort de ce jeune roi, sans nous faire oublier la nuit de la Saint-Barthélemy, nous intéresse vivement et nous remplit d’une profonde compassion pour ce jeune roi qui, à peine âgé de vingt-quatre ans, voit la mort se dresser devant lui, et l’entraîner dans la tombe par l’une de ces maladies, terribles, sceaux de la malédiction divine.
Notes
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{1} C’est ainsi qu’il appelait sa sœur.
https://cms.dieu-avant-tout-com.webnode.fr/
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