Abraham déjà avait reçu l’ordre de l’Éternel d’aller chercher une épouse pour son fils Isaac dans sa famille d’origine. Isaac fit de même pour son propre fils Jacob même si c’était plus par la force des choses que par conviction. Cette discrimination avait pour objectif de préserver le peuple élu de l’influence des religions idolâtres qui étaient pratiquées dans tout le Proche-Orient ancien, et ainsi préserver une lignée religieusement et moralement pure d’où éventuellement naîtrait le Sauveur du monde. Alors comment se fait-il que Dieu ait permis à deux femmes cananéennes, une Moabite et une qui était probablement Hittite d’entrer dans la généalogie du Christ ? Le mystère s’épaissit quand on découvre que l’origine païenne de ces femmes n’est pas la seule anomalie. En effet, 2 d’entre elles ont eu soit un comportement pour le moins discutable, soit des mœurs dirions-nous, légères.
La première qui est citée par Matthieu s’appelle Tamar et son histoire saugrenue est racontée dans le chapitre 38 de la Genèse. Elle avait eu pour maris les deux premiers-nés de Juda, l’ancêtre fondateur de la plus puissante des 12 tribus d’Israël. Tamar devenue veuve, son beau-père lui a menti en promettant de lui donner son troisième fils en mariage. Alors, déterminée à obtenir coûte que coûte une descendance pour son mari défunt, Tamar décide de piéger Juda. Pour ce faire, elle se déguise en prostituée sacrée et se place sur la route de son beau-père. Elle l’aguiche tant et si bien qu’il tombe dans ses bras. Tout marche comme sur des roulettes. Elle se retrouve enceinte et donne naissance à un fils qu’elle appelle Péretz et qui figure dans la généalogie de Matthieu.
La seconde de ces femmes se nomme Rahab et son histoire se trouve dans le livre de Josué, l’aide de camp de Moïse qui dirigea la conquête de la Palestine. Aubergiste et prostituée de profession, elle exerçait tranquillement dans la ville de Jéricho jusqu’au jour où des espions israélites débarquèrent chez elle. Elle choisit alors de les héberger, de les cacher et de les aider à reprendre le large une fois leur mission accomplie parce qu’elle croyait que l’Éternel, le Dieu des Hébreux était le seul vrai Dieu. Le Nouveau Testament passe sous silence ses petites vertus, mais rend hommage à sa foi en ces termes :
C’est à cause de sa foi que Rahab la prostituée accueillit avec bienveillance les espions israélites et que, par la suite, elle ne périt pas avec les rebelles (#Hébreux 11:31).
Éventuellement, elle s’intégra au peuple d’Israël, se maria et donna naissance à un fils qui figure lui aussi dans la généalogie du Christ.
Ruth la troisième de ces femmes a donné son nom à un des livres de l’Ancien Testament. C’est une personne avec beaucoup de charme et qui contrairement aux deux précédentes n’a commis aucun acte répréhensible. Elle était descendante de Moab, un enfant incestueux dont l’histoire sordide est racontée dans le livre de la Genèse. Or, la Loi de Moïse stipulait qu’il était interdit à quelqu’un de cette lignée de faire partie du peuple d’Israël à cause de la guerre que les Moabites avaient menée contre les Hébreux après leur sortie d’Égypte. Néanmoins, un Israélite immigré dans le pays de Moab la prit pour épouse, mais il mourut. C’est alors que Ruth choisit l’Éternel comme son Dieu et prit soin de sa belle-mère devenue veuve elle aussi. Toutes deux, complètement démunies, retournèrent en Israël et là, un dénommé Boaz, un parent éloigné riche et influent prit Ruth sous sa protection parce qu’il vit qu’elle était une femme de distinction. C’est alors que pleine de reconnaissance elle a dit :
Elle tomba sur sa face et se prosterna contre terre, et elle lui dit : Comment ai-je trouvé grâce à tes yeux, pour que tu t’intéresses à moi, à moi qui suis une étrangère ? (#Ruth 2:10).
La suite est une belle histoire d’amour qui ferait un bon film qu’il faudrait sortir pour la St-Valentin. Bref, Boaz eut le coup de foudre, l’épousa et elle donna naissance à un fils dont le nom figure dans la filiation du Christ. C’est ainsi que Ruth devint l’arrière-grand-mère du roi David.
La quatrième de ces femmes se nomme Bath-Chéba, mais dans la généalogie elle est appelée : la femme d’Urie le Hittite parce qu’elle trempe dans une sombre affaire de mœurs, d’adultère et de meurtre sans pour autant qu’elle en soit directement responsable. C’est le fameux grand roi David qui un jour l’a vu prendre un bain et en a eu plein les yeux, littéralement. Il a ordonné qu’on la lui apporte ; eh bien oui quoi, il était roi. Ça me rappelle un droit seigneurial du Moyen-Âge qui s’appelait le cuissage. On apprend ça sur les bancs de l’école. Quoi qu’il en soit, le roi David l’a mise enceinte illico presto et ensuite s’est arrangé pour que son mari meure au combat. Ça ferait un très mauvais roman à l’eau de rose. Je n’invente rien, cette histoire sordide fait vraiment partie des textes Sacrés qui n’essaient jamais d’arrondir les angles, mais disent la vérité, toute la vérité.
Quand à l’école il faut apprendre les noms de personnages qu’on nous dit être célèbres, c’est rasoir à mourir, une vraie galère. Pourtant, ces gens sont importants dans la mesure où ils ont littéralement fait l’histoire et en sont les points d’ancrage. Sans eux, les récits n’auraient pas de corps. C’est exactement la même chose en ce qui concerne les généalogies contenues dans les Textes Sacrés ; elles sont barbantes au possible, mais elles structurent toute l’histoire sainte. Matthieu commence son Évangile avec la filiation du Christ qui remonte jusqu’à Abraham l’ancêtre fondateur des Israélites.
Ce qui est curieux pour l’époque est que Matthieu a inclus 5 femmes dont 3 trempent dans des histoires sordides. La 4e, Bath-Chéba femme d’Urie le Hittite, fut doublement dérobée par le roi David, d’abord à l’un des ses officiers et ensuite pour la mettre dans son lit. Plus tard, le roi fit disparaître le mari gênant. Mais David ne s’en est pas tiré à bon compte, car il lui a fallu subir le jugement de Dieu et récolter les fruits amers de ses fautes. Il ne fut cependant pas rejeté comme il le méritait.
Suite à cette affaire, il se repentit amèrement, ce qu’il mit par écrit dans plusieurs psaumes. Il expérimenta alors le pardon et la grâce de Dieu, ce qui est un réconfort pour chacun d’entre nous. En effet, une brebis peut sortir du bercail et s’égarer, mais le Grand Berger cherche les brebis perdues et tente de les ramener à la bergerie. Ainsi, si l’Éternel a sévèrement puni le roi David, c’était pour le ramener dans le droit chemin. David prit Bath-Chéba pour femme et elle lui enfanta un fils qui techniquement est adultérin, mais qui devint quand même le grand roi Salomon. C’est lui qui conduisit la nation d’Israël à son apogée. Et c’est ainsi que dans la filiation du Christ figurent Bath-Chéba et son fils Salomon.
À côté des femmes qui sont les maîtresses de récits sordides, la généalogie de Matthieu comprend aussi un certain nombre d’hommes qui mériteraient plutôt le pénitencier que de figurer parmi les ancêtres du Christ. On peut se demander pourquoi, dès le début du Nouveau Testament, Dieu met devant nos yeux des noms de personnages — tant hommes que femmes — qui évoquent les fautes les plus graves. Sans doute que le Seigneur du ciel et de la terre veut attirer notre attention sur le fait que de la femme aux petites vertus jusqu’aux grands rois en passant par les hommes les plus pieux, nous sommes tous pervertis, entachés de vices divers et même coupables de crimes de sang.
Dieu n’a pas choisi le peuple d’Israël comme famille ancestrale du Messie à cause de sa religiosité ou de sa bonne conduite, loin de là, mais parce qu’il l’a décidé selon le conseil de sa seule volonté, un point c’est tout. C’est un choix qui de notre point de vue infiniment dérisoire peut sembler bien arbitraire et pourtant Dieu n’est ni capricieux ni sentimental. Il agit en fonction de critères qui ne nous sont pas révélés. L’apôtre Paul explique la souveraineté de Dieu dans ses choix dans une de ses Épîtres où il parle des petits-fils d’Abraham qui naquirent de Rébecca la femme de son fils Isaac. Je lis le passage :
Rébecca, ses enfants avaient un seul et même père : notre ancêtre Isaac. Avant leur naissance, par conséquent avant qu’ils n’aient fait ni bien ni mal, et pour bien prouver que Dieu avait déjà fixé son plan et que tout dépend, non du comportement des hommes, ni de leurs mérites, mais du libre choix de Dieu, il fut dit à Rébecca : L’aîné servira le cadet ce qui s’accorde avec cet autre texte de l’Écriture : j’ai préféré Jacob à Ésaü ! (#Romains 9:10-13).
Le fait que l’Éternel ait choisi des femmes étrangères et de petites vertus dans la généalogie du Christ prouve bien qu’il est le Seigneur du ciel et de la terre y compris tous les êtres humains. Cela nous rappelle que depuis la nuit des temps les non-juifs font aussi partie du plan de Dieu. En incluant ces 5 femmes aux vies marginales, Matthieu, et derrière lui le Saint-Esprit qui est l’auteur de cet Évangile, répond à de possibles rumeurs qui peut-être circulaient concernant les circonstances inhabituelles de la naissance de Jésus. Matthieu prouve ainsi que d’une part le Christ n’est aucunement un enfant illégitime, et d’autre part un certain nombre de ses ancêtres, dont des rois, trempaient dans des situations moralement répréhensibles. Malgré cela, l’Éternel a agi en leur faveur, car c’est pour sauver des pécheurs qu’Il a envoyé son Fils. Si Dieu a montré sa grâce et sa faveur envers des païens et des coupables avant la venue du Christ, il agira de même envers ceux qui viendront après Lui. Jésus lui-même a dit à ceux de sa génération :
Je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs (#Matthieu 9:13).
Mis à part les femmes mentionnées dans la généalogie du Christ, il y a un personnage qui mérite l’attention, car il est sujet de controverses. Dans la liste des ancêtres du Messie, figure un certain Jéconia. Or de la bouche même du prophète Jérémie, l’Éternel l’avait maudit en déclarant :
Quand Jéconia, roi de Juda, serait un anneau à ma main droite, je t’arracherais de là.
Cette parole revêt encore plus de force lorsqu’on songe que cet anneau portait le cachet qui servait à sceller les ordres royaux ; on ne s’en séparait jamais. Je continue à lire ce passage.
Ainsi parle l’Éternel : Inscrivez cet homme Jéconia comme privé d’enfants sur le trône, car nul de ses descendants ne réussira à s’asseoir sur le trône de David (#Jérémie 22:24, 30).
David a eu plusieurs garçons et, par eux, de nombreux descendants. En théorie, tous possèdent un droit légal au trône. En haut de l’échelle, les deux fils de David qui nous intéressent sont Salomon et Nathan et en bas de l’échelle ce sont Joseph et Marie qui font partie de leur lignée respective. Les descendants de Jéconia, maudits par Dieu, conservent le droit légal au trône tout simplement parce qu’ils sont descendants de David par son fils Salomon. Cependant, aucun d’entre eux ne le possédera. Or Joseph appartenait à cette filiation privée du droit physique au trône. À cause de son ancêtre Jéconia, Dieu n’aurait pas permis que l’époux de Marie devienne roi, même si Israël avait été une nation libre. Qu’à cela ne tienne, comme le Christ est né miraculeusement conçu par l’entremise du Saint-Esprit et non de Joseph, cette malédiction prophétique ne le concerne pas.
Jésus fait partie de deux lignées royales de David, l’une par Marie et l’autre par Joseph, son père adoptif. Si ce dernier n’est qu’un pauvre charpentier en Galilée plutôt que résidant d’un palais, c’est à cause de l’idolâtrie maladive d’Israël. D’une part, il y a cette malédiction spécifique dont je viens de parler qui pèse sur Joseph, et d’autre part l’Éternel punissait son peuple en le plaçant sous la domination de puissances étrangères se succédant presque sans interruption depuis 600 ans. L’héritage de Joseph avait donc perdu toute signification.
Luc dans son Évangile donne d’autres détails concernant la naissance du Christ. Tout comme Matthieu, il affirme que Jésus naquit d’une vierge et que par conséquent Joseph ne l’avait pas engendré. Donc, Marie ne fut pas infidèle à son mari et le Christ n’est pas un enfant illégitime. Son père est Dieu lui-même et personne d’autre. Luc donne aussi la filiation de Jésus-Christ, mais en passant par Marie et en remontant jusqu’à David, mais par Nathan, un autre de ses fils et non par Salomon ancêtre de Joseph. C’est un peu compliqué, j’en conviens, mais cela souligne l’importance considérable que revêtent les généalogies, et pourquoi elles valent la peine d’être étudiées même si elles sont barbantes.
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