François Ier est considéré comme le roi emblématique de la période de la Renaissance française1. Son règne permet un développement important des arts et des lettres en France. Sur le plan militaire et politique, le règne de François Ier est ponctué de guerres et d’importants faits diplomatiques.
***
FRANÇOIS Ier
François Ier ==> figure 01065
C’était le 1er janvier 1515, les Parisiens remplissaient les rues et les places publiques, et, s’abordant les larmes aux yeux, se disaient tristement : Louis XII, notre bon père, est mort ! Louis XII, l’un des meilleurs rois que la France ait eus, quitta ce monde avec de tristes pressentiments : « Ce gros garçon, disait-il du duc d’Angoulème son gendre, gâtera tout. »
Le lendemain de la mort du père du peuple tout était changé ; à la place d’un roi simple, économe, la France avait un monarque fastueux, prodigue ; un monde nouveau succédait à un monde ancien.
François d’Angoulême, qui prit, en montant sur le trône, le nom de François Ier, sous lequel il est devenu si célèbre, était le fils de Charles d’Angoulême et de Louise de Savoie ; il naquit à Cognac le 12 septembre 1494, et perdit son père de bonne heure. Sa mère lui fit donner une brillante éducation ; mais elle ne sut pas lui apprendre l’art, si nécessaire aux rois, de se vaincre soi-même. Louis XII était effrayé en voyant son neveu s’abandonner, sans mesure, à tous les égarements de la jeunesse. Il disait : « Que deviendra la France quand elle aura pour guide un prince maîtrisé par ses passions, et qui ne rêve que plaisirs ! »
François Ier était la personnification du gentilhomme français de cette époque, il en avait tout le brillant et tous les vices, il aimait les splendides palais, les belles chasses, les carrousels, la guerre ; sa cour était le rendez-vous de tous les plaisirs : on y dansait, on y jouait, on s’y ruinait ; ce fut sous ce prince spirituel, léger, prodigue, licencieux, que la Renaissance commença. Ce mot exprime d’une manière énergique la transformation sociale qui s’opéra en France. Avant cette époque, les arts, les sciences, les lettres, tout semble dormir, et soudainement tout se réveille. Le jeune roi se voit entouré de poètes, de statuaires, de peintres, de savants, de lettrés ; l’imprimerie, récemment découverte est, pour ces hommes d’élite, ce qu’un beau soleil de printemps est pour une semence que l’hiver a empêché de germer : tout se couvre de fleurs, les fruits viendront après.
Une fois l’impulsion donnée à l’esprit humain, il ne s’arrêta plus, il voulut tout savoir, tout connaître ; de là, l’exercice du droit d’examen d’où sortit la grande réforme religieuse du seizième siècle.
François Ier encouragea les travaux des hommes qui, les premiers, essayèrent de ramener l’Église dans les sentiers de la vérité, et souvent même il les protégea contre leurs ennemis ; il rendit ainsi, au commencement de son règne, des services éclatants à une cause qu’il persécuta plus tard ; ses courtisans durent le croire décidé à rompre avec le pape le jour où il les convia à une grande représentation théâtrale. « À l’animation qui régnait au sein de l’assemblée, il était facile de deviner qu’il ne s’agissait pas d’une représentation ordinaire ; quelques paroles indiscrètes avaient aiguisé la curiosité et provoqué une impatience qui n’était contenue que par la présence de la majesté royale. La toile enfin se lève, un spectacle étrange frappe les yeux : le pape, revêtu de ses habits pontificaux et portant sa triple couronne, est assis sur un trône élevé ; autour de Sa Sainteté se pressent des cardinaux des évêques et des moines mendiants. Au milieu de la scène, l’œil distingue un tas de charbons éteints, noircis, mais fumant encore … Un vieillard, à cheveux blancs, cherche à les rallumer, tout en faisant au pape et à son entourage un discours sur la corruption qui règne dans l’Église et sur la nécessité de procéder à une réformation. Ce vieillard, c’est Reuchlin, le Jacques Le-Fèvre de l’Allemagne. Après Reuchlin, écouté avec froideur par le saint-père et sa cour, paraît un homme au-devant duquel vont les cardinaux qui lui font un gracieux accueil. À peine a-t-il ouvert la bouche qu’on reconnaît en lui le circonspect Érasme. Il parle des abus de l’Église, mais avec de grands ménagements ; il pense qu’il faut opérer quelques réformes ; mais il ajoute qu’il serait dangereux de trop se hâter ; selon lui le temps est le plus grand et le plus sage des réformateurs. À peine a-t-il fini sa harangue qu’il va prendre sa place derrière les cardinaux, qui le cajolent dans l’espoir de gagner à leur cause un théologien si éminent. À Érasme succède un personnage qui ne lui ressemble en rien : il entre botté, éperonné, sur la scène ; sa tournure est celle d’un chevalier aguerri aux combats, il va droit au pape : « Tu es l’Antéchrist, lui dit-il, ce sont tes vices et ceux de tes cardinaux, qui ont jeté l’Église dans un abîme de corruption. » Il le menace ensuite de la colère divine, puis il prend un soufflet et s’en sert avec ardeur pour ranimer les charbons presque éteints, desquels s’élance une flamme brillante qui épouvante la gent cléricale, quand tout à coup ce fougueux acteur tombe mort sur la scène. Stupéfaits, mais joyeux, les moines l’ensevelissent sans rendre à son corps aucun des honneurs funèbres que Rome rend à ses fidèles. Dans cet acteur, les spectateurs reconnaissent Ulrich de Hutten, le terrible pamphlétaire qui, dans ses Lettres des hommes obscurs, flagelle si rudement les gens d’Église, et les immole sans pitié à la risée publique. Débarrassés de leur ennemi, les personnages de la scène sont dans la jubilation : ils triomphent L’odieux mot de Réforme ne résonnera plus à leurs oreilles, et le char ecclésiastique continuera, comme par le passé, à se traîner doucement dans ses vieilles ornières. La joie des acteurs n’est pas de longue durée ; car immédiatement après l’ensevelissement d’Ulrich de Hutten, un moine de chétive apparence s’avance sur la scène. Tout frêle de corps qu’il soit, il a un œil vif, sa démarche est assurée. Il lance un regard de mépris et de colère sur le pape ; puis, prenant les bûches de bois dont il est chargé, il les jette dans le brasier, et d’une voix éclatante s’écrie : « Je veux allumer un feu qui resplendisse dans tout le monde entier, de sorte que Christ, qui a presque péri sur la terre par vos ruses, revive partout et malgré vous. »
À ces paroles, tous les assistants reconnaissent dans ce moine plein d’une sainte énergie, Luther, le grand réformateur de l’Allemagne.
Le feu s’embrase ; le pape et les siens, tremblants et saisis de frayeur, essaient, mais en vain, d’étouffer la flamme, qui, en immenses spirales, s’élève vers les cieux. Ils ne perdent pas cependant courage, et délibèrent sur ce qu’ils ont à faire. Chacun donne son avis ; mais les moyens proposés paraissent si impuissants, qu’on les abandonne tout aussitôt. Les délibérants semblent réduits aux abois, quand un personnage se présente. Il est petit, court, gros, obèse, il a le teint fleuri ; c’est un moine mendiant qui offre ses services. « Mon ordre, dit-il, a été fondé pour punir la dépravation hérétique, depravationem hœreticam. Si saint Pierre, c’est-à-dire le pape, veut me confier encore le soin de faire rentrer les révoltés dans le sein de l’Église, je promets d’éteindre l’incendie naissant et de faire tout rentrer dans l’obéissance. »
L’enfant de Saint-Dominique parle avec tant d’assurance, qu’il fait passer dans le cœur des assistants la confiance qu’il a dans le sien. Touché de tant de zèle, le pape promet au moine, et à ceux de son ordre, les plus hautes dignités ecclésiastiques ; puis, s’armant des plus terribles anathèmes de son Église, il les fulmine sur ceux qui ont allumé le feu ; mais il le fait avec tant de haine et de colère qu’il est saisi d’un accès de rage qui le tue subitement. À la vue du pape foudroyé par la mort, la salle retentit d’un long éclat de rire ; la toile tombe {1}.
Le même prince qui se moquait ainsi du pape et applaudissait publiquement, avec toute sa cour, aux coups que Luther lui portait, ne persévéra pas malheureusement dans la voie où sa sœur Marguerite le poussait doucement, et dans laquelle il avait marché, non par conviction, mais parce qu’il n’aimait ni les prêtres ni les moines, car au moment où les luthériens fondaient sur lui leurs plus belles espérances, il devint tout à coup leur acharné persécuteur ; voici comment cela arriva :
Feret, luthérien exalté, avait été député par la communauté luthérienne de Paris, vers ceux de ses frères qui prêchaient la Réforme dans la partie de la Savoie avoisinant la Suisse. Tout ce qu’il vit l’impressionna vivement ; on dépouillait les églises de leurs ornements, on brûlait les confessionnaux, on démolissait les autels, partout on abolissait la messe. Au même moment on publiait, en Suisse, un pamphlet contre la messe, écrit dans un style âpre et violent ; Feret commit l’imprudence de le répandre. Dans son ignorante sincérité, il plaçait toute l’hérésie romaine dans cette cérémonie, et il lui semblait qu’en l’abolissant, il détruirait la papauté : ses sentiments étaient ceux de tous les luthériens qui voyaient, dans un prêtre officiant, un idolâtre.
De retour à Paris, Feret communiqua le pamphlet à ses frères ; malgré l’opposition bien prononcée des hommes sages et modérés, il fut décidé qu’on le répandrait. Le faux zèle l’emporta sur la prudence. Un matin, c’était le 13 août 1535, les Parisiens virent affichés sur les murs des places publiques et sur les portes des églises, des traités en forme de placards ; ils s’approchent, lisent l’écrit contre la messe. À peine en ont-ils lu quelques lignes, qu’ils s’indignent, s’irritent, arrachent les placards et profèrent d’horribles menaces contre les luthériens.
Peut-être cette imprudence n’aurait pas eu de suites graves si le roi, à son retour de Blois, n’avait trouvé l’un de ces placards affiché à la porte de son cabinet. François Ier, qui était jaloux de son autorité, crut qu’on voulait y porter atteinte {2}. Sa colère fut comme le rugissement du lion, et ce même prince qui se proposait de faire venir à Paris le doux et pacifique Mélanchthon, pour amener les deux partis religieux à une conciliation, chargea son lieutenant criminel, Michel Morin, de venger l’affront fait au Saint-Sacrement. Ce magistrat était habile, actif, intrigant, avare et désireux de s’enrichir aux dépens des luthériens qu’il haïssait à cause de leur conduite exemplaire. Un juge intègre aurait recherché les coupables ; il frappa indistinctement tout le monde, et grâce à son zèle sanguinaire, les prisons regorgèrent de luthériens de tout âge, de tout rang et de tout sexe.
Les réformés étaient dans la consternation ; ils purent, à la vue d’une procession qui eut lieu le 21 janvier 1535, se faire une idée du sort qui les attendait ; jamais, de mémoire d’homme, les Parisiens n’avaient été témoins d’un spectacle plus magnifique ; jamais ils n’avaient vu un plus grand nombre de princes et de princesses, de cardinaux, d’évêques, de moines, de grands seigneurs.
L’immense cortège sortit entre huit et neuf heures du matin de l’église Saint-Germain-l’Auxerrois, dont les cloches devaient, quarante-sept ans plus tard, donner le signal de la Saint-Barthélemy, parcourut lentement les principales rues de Paris, et s’arrêta sur six places publiques au milieu de chacune desquelles ont avait élevé un riche reposoir destiné à recevoir l’hostie consacrée ; près de chaque reposoir on voyait un bûcher.
A chaque station, le roi récitait une prière, prenait de la main du cardinal de Lorraine une torche de cire vierge et allumait un bûcher sur lequel un luthérien était brûlé.
Le peuple applaudissait, croyant, dans son ignorance, que les victimes étaient des êtres maudits de Dieu ; cependant il éprouva un immense sentiment de compassion, quand il les vit souffrir avec un admirable courage l’un des tourments les plus affreux que les hommes aient inventés. On les suspendait à de grandes balançoires qui, en se baissant et se relevant, les plongeaient dans les flammes, et les en retiraient pour les y replonger encore, jusqu’à ce que les cordes soient dévorées par le feu. Le roi avait inventé cet affreux supplice !
La procession, qui était sortie en chantant de Saint-Germain-l’Auxerrois, y rentra en chantant ; immédiatement après il y eut un magnifique banquet dans l’une des salles de l’archevêché, le roi daigna y assister ; après le repas il monta dans une chaire, et fit à la noble assistance un discours dans lequel il dit : « Si mon fils était un hérétique, je le ferais brûler. » Le prince qui prononçait ces horribles paroles n’avait ni piété ni moralité, il n’était pas même fanatique.
Immédiatement après la sanglante procession, d’autres luthériens furent mis à mort. Parmi ceux qui eurent l’insigne honneur de donner leur vie pour le saint nom de Jésus, il faut placer, en première ligne, un jeune homme nommé Barthélémy Milon, fils d’un cordonnier de Paris. La nature avait été tout à la fois, pour lui, marâtre et prodigue : marâtre, en lui donnant un corps contrefait ; prodigue, en le douant des facultés les plus merveilleuses de l’esprit ; sa laideur l’aigrit et le rendit méchant, railleur et dissolu, il en porta la peine ; car bien jeune encore, il ne lui resta que l’usage de sa langue, dont il se servait comme le serpent de son dard empoisonné, et de ses doigts pour gagner sa vie. Un jour qu’il travaillait dans la boutique de son père, il vit passer un luthérien, auquel il lança quelques paroles de railleries. Ce fidèle, s’approchant de lui, lui dit, en jetant sur lui un regard de compassion : « Pauvre homme, pourquoi te moques-tu des passants ? Ne vois-tu pas que Dieu a courbé ton corps pour redresser ton âme. » Ces paroles firent une profonde impression sur le cœur de l’impotent.
« Prends ce livre, lui dit le passant, et dans quelques jours tu me diras ce que tu en penses. » Il lui remit un Nouveau Testament, et continua son chemin. Milon lut le livre de Dieu, et bientôt après, l’Église protestante de Paris compta un membre de plus.
La conversion du paralytique fut un objet de surprise et d’étonnement pour tous les habitants de son quartier. Le changement était complet : sous l’influence salutaire de l’Évangile, cet enfant prodigue était devenu un saint homme de Dieu, qui répandait autour de lui, par sa foi vivante, la bonne odeur de Christ. « Sa chambre, dit Crespin, était une école de piété. » Et, chose remarquable, ce pauvre impotent avait su, quoique étendu nuit et jour sur son lit, devenir l’un des artistes les plus habiles de Paris. Avec son burin, il faisait les ouvrages les plus délicats, et soutenait de son gain des chrétiens pauvres et nécessiteux.
Après l’affaire des placards, le terrible Michel Morin ne l’oublia pas. Il entra un jour comme un furieux dans sa chambre, et lui dit brutalement : « Sus, lève-toi ! — Il faudrait, lui répondit Milon en riant, un plus grand maître que vous pour me faire lever ». Michel Morin le fit enlever par ses sergents, et le porter en prison, où il consola et encouragea ses frères prisonniers comme lui à demeurer fermes dans la foi. L’impotent fut condamné à être brûlé à petit feu sur la place de Grève, à laquelle il fut conduit, et où il glorifia son Sauveur, en mourant avec calme, sans orgueil et sans faiblesse. Après lui, Nicolas Valeton, receveur de Nantes, Jean du Bourg, marchand de Paris, Henri Poille, maçon des environs de Meaux, Estienne de Laforge, l’ami et l’hôte de Calvin, et plusieurs autres, couronnèrent leur vie par le martyre.
Un peu avant qu’on joue ces horribles drames, on jouait une comédie burlesque à Orléans : Un esprit malin, disaient les bourgeois de cette ville, hante le couvent des Cordeliers ; depuis qu’il y fait sa demeure, les enfants de Saint-François {3} ont cessé de célébrer les saints mystères, et ont transporté, hors de leur église, les vases sacrés. Chacun, en répétant ces paroles, se sentait sous le poids d’une mystérieuse terreur, et désirait néanmoins pénétrer dans l’église, où l’esprit faisait un vacarme effroyable. Les moines, de leur côté, semblaient faire des efforts inouïs pour se débarrasser de cet hôte compromettant qui se moquait des sommations qui lui étaient faites de déguerpir ; il refusait même de répondre aux questions qui lui étaient posées. Un jour cependant, en présence des principaux habitants de la ville, invités à assister à son exorcisme, il se décida à parler et déclara à frère Collyman qui l’interrogeait, qu’il était l’âme de la prévôte d’Orléans enterrée dans l’Église.
Cette dame, qui était morte depuis quelques jours à peine, avait prié son mari de la faire enterrer sans pompe, c’est-à-dire sans frais, ce qui déplut singulièrement aux religieux, qui ne cachèrent pas leur mauvaise humeur et résolurent de se venger, malgré les six écus que le prévôt leur avait envoyés. Quelques jours après, le bruit courait dans Orléans qu’un malin esprit hantait leur église. Revenons à frère Collyman : à peine l’esprit lui eut déclaré qu’il était l’âme de la prévôte, que toute l’assistance frémit de terreur.
L’exorciste, simulant un grand effroi, lui demanda lequel des sept péchés capitaux il avait commis ; l’esprit refusa de répondre. Après un long silence et au moment où le moine paraissait disposé à terminer l’émouvante scène de l’exorcisme, il s’avisa de lui demander si la prévôte ne serait pas morte luthérienne.
— Oui, répondit l’esprit.
— Pourquoi donc fais-tu tant de bruit ?
— Parce que le corps de la prévôte est enterré dans l’église.
— Faut-il le déterrer ?
— Oui.
Les assistants sont de plus en plus étonnés ; frère Collyman dresse un procès-verbal de tout ce qui s’est passé et invite les témoins de la scène à le signer ; quelques-uns s’y refusent par crainte du prévôt.
Celui-ci, averti de ce qui se passait, porta plainte contre les moines ; une enquête fut ordonnée par l’official de l’évêque qui, par respect pour le magistrat, voulut que cette affaire soit examinée avec le plus grand soin. Comme, dans ce temps-là, on croyait aux esprits et aux sorciers, il fit procéder d’une manière solennelle à un nouvel exorcisme ; le jour où il eut lieu en présence de nombreux invités, une bande d’écoliers jouait autour de l’église. Ces espiègles, soupçonnant quelque supercherie de la part des moines, pénétrèrent dans l’église pour chercher l’esprit, et firent tant de tapage que frère Collyman cessa son opération.
Le prévôt assigna les moines devant la cour ; les accusés déclinèrent sa compétence. François Ier, informé de ce qui se passait, envoya à Orléans quelques conseillers de son parlement pour instruire et juger l’affaire. Quoique la fraude leur paraisse évidente, ils n’auraient pu la constater, si l’esprit ne leur avait lui-même tout révélé ; cet esprit était un jeune novice auquel les moines avaient appris son rôle qu’il avait joué avec une grande perfection.
Les juges condamnèrent les moines à aller en prison et à faire amende honorable sur la place publique de Martroys. Les prisonniers furent l’objet de l’attention des dévotes de la ville qui crièrent à l’injustice, et continuèrent à croire à l’apparition de l’esprit. Grâces à elles, les prisonniers faisaient bonne chère ; mais au moment où François Ier se disposait à les frapper d’une manière exemplaire, survint l’affaire des placards qui lui fit oublier les prisonniers d’Orléans, qui purent, par les soins de leurs nombreux amis, s’évader de leur prison.
Transportons-nous maintenant à Meaux, cet obscur, mais glorieux berceau de la Réforme française. Sur la place publique du marché, rempli d’une foule innombrable de curieux venus de plusieurs lieues à la ronde, on voyait quatorze bûchers qui attendaient chacun une victime ; le seul crime de ces infortunés était leur hérésie.
Tous les efforts qui avaient été faits à Meaux pour en extirper le luthéranisme, avaient été impuissants ; la communauté réformée de cette ville prit un accroissement merveilleux ; les assemblées se composaient quelquefois de quatre cents personnes venues de cinq à six lieues alentour.
Le 8 septembre 1546, les fidèles étaient réunis dans la maison d’un homme nommé Mangin, sous la présidence de leur ministre, le tisserand Leclerc. Quand le lieutenant de police avec sa suite entra dans la chambre où l’ouvrier pasteur expliquait la parole de Dieu, il fut d’abord étonné, puis il dit à Leclerc : « Que font là tant de personnes assemblées sans aller à leurs paroisses ? »
— Ce que vous voyez, répondit-il ; mais attendez avec patience que nous ayons achevé.
— En prison, dirent les gens du lieutenant de police.
— Allons où il plaira au Seigneur, dit Leclerc.
On commença alors à garrotter les assistants qui n’opposèrent aucune résistance ; quand vint le tour d’une jeune fille, elle dit au lieutenant avec beaucoup de dignité : « Si vous m’aviez trouvée dans quelque lieu déshonnête, vous vous seriez bien gardé de me lier ainsi. »
— Silence, lui dit brutalement le lieutenant, et il commanda à ses agents de conduire tous les assistants dans la prison de 1a ville ; ils étaient soixante-douze. Les habitants étaient étonnés de voir tant de personnes si honnêtes, de tout âge et de tout sexe, se laisser conduire comme des agneaux : Dieu soutenait visiblement les prisonniers, qui louaient Dieu dans leurs chants.
Ils furent transportés à Paris et comparurent devant le parlement, qui condamna quatorze d’entre eux à la peine de mort. C’est pour cela qu’ils sont connus dans l’histoire sous le nom des Quatorze de Meaux.
Après leur condamnation, ils furent ramenés dans leur ville natale où leur exécution devait avoir lieu. Pendant le trajet, ils étaient tristes et abattus ; ils avaient tant souffert et les moines les avaient tant harcelés pour les faire abjurer ! Ils traversaient la forêt de Livry, quand tout à coup un homme sort du bois, court après les chariots qui allaient très vite : « Frères, crie-t-il aux prisonniers d’une voix éclatante, prenez courage ! », et montrant le ciel avec sa main levée, il ajoutait : « Souvenez-vous de celui qui est là-haut ! »
Les conducteurs du funèbre cortège s’emparèrent de celui qui parlait ainsi, le garrottèrent, le mirent sur le chariot qui emporta à Meaux un martyr de plus. Les condamnés, en l’entendant, reprirent courage, leurs têtes abattues se relevèrent, et de leurs bouches muettes sortirent des chants harmonieux qui montèrent vers le ciel.
Meaux était dans l’attente de ce qui allait se passer, les parents et les amis des condamnés versaient des larmes, les honnêtes gens les plaignaient, la foule était dans une attente curieuse, elle allait assister à l’une de ces fêtes sanglantes qu’elle aime tant. Longtemps avant l’heure de l’exécution, elle remplissait la place du marché où étaient dressées quatorze potences ; les condamnés arrivèrent vers deux heures de l’après-midi et leur supplice commença ; les bourreaux les lièrent, et pendant que le clergé chantait, les martyrs chantaient aussi.
Cette scène lugubre se passait le 8 octobre 1546 à quelques lieues de Paris ; le roi aurait pu l’empêcher, il ne le fit pas ; il était préoccupé du soin de sa santé chancelante et des intérêts de sa politique ; mais le moment de faire le chemin de toute la terre arrivait pour lui ; il était cependant jeune encore, mais usé avant l’âge, par l’usage immodéré des plaisirs ; il mourut dans le château de Rambouillet, le 31 mars 1547.
Comme la plupart des rois, François Ier eut son oraison funèbre. Loué pendant sa vie, il le fut après sa mort par Pierre du Châtel, évêque de Châlons, qui le présenta à ses auditeurs comme le modèle de toutes les vertus chrétiennes ; dans son enthousiasme, le prélat assura que l’âme du royal défunt, en quittant ce monde, avait été immédiatement portée par les anges dans le paradis.
Quelques docteurs de la Sorbonne furent scandalisés de ces dernières paroles. « Que deviendra, dirent-ils, le purgatoire, si un roi aussi dissolu que François Ier, ne passe pas par ses flammes ; s’il va droit au ciel, qui n’ira pas ? » Ils portèrent plainte contre Pierre du Châtel, mais Mendoce, premier maître d’hôtel du roi défunt, auquel ils s’adressèrent, leur dit : « Messieurs, calmez-vous, j’ai connu particulièrement François Ier, mon bon maître ; il ne pouvait s’arrêter nulle part, et s’il a fait un tour au purgatoire, on n’aura jamais pu le persuader d’y demeurer trop longtemps. »
Cette plaisanterie fut la véritable oraison funèbre d’un prince qui ne prit rien au sérieux ; qui servit et persécuta la Réforme sans la comprendre, et fut cependant à son insu, entre les mains de Dieu, un moyen puissant pour l’implanter en France.
Notes
{1} Histoire de la Réformation française, t. Ier.
{2} On présume, non sans fondement, que ce furent les ennemis des luthériens qui affichèrent le traité à la porte du roi pour l’indisposer contre eux.
{3} Les Cordeliers étaient ainsi appelés du nom de S. François d’Assise, fondateur de leur ordre ; le nom de Cordeliers leur venait de la corde dont ils ceignaient leur robe.