Jean Calvin

10/07/2016 13:01

 

Jean Calvin
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Portrait de Jean Calvin

 
Naissance
Noyon (PicardieFrance)
Décès  (à 54 ans)
Genève (République de Genève)
Activité principale Réformateur protestant
Théologien protestant
Écrivain
Auteur
Langue d’écriture latin et français
Mouvement Réforme protestante
Calvinisme
Genres Essai
Sermon
Pamphlet

Œuvres principales

 
Signature de Jean Calvin

 

Jean Calvin (forme re-francisée de la forme latinisée, Calvinus, du nom Jehan Cauvin), né le 10 juillet 1509 àNoyon (Picardie), et mort le 27 mai 1564, à Genève, est un théologien, un important réformateur, et un pasteuremblématique de la Réforme protestante du XVIe siècle, notamment pour son apport à la doctrine dite ducalvinisme.

Après des études de droit, Calvin rompit avec l'église catholique romaine vers 1530. Du fait des persécutions contre les protestants en France, Calvin se réfugia à Bâle, en Suisse, où il publia la première édition de son œuvre maîtresse, l'Institution de la religion chrétienne en 1536. La même année, il fut recruté par Guillaume Farel pour aider à la réforme de l'église à Genève. Le conseil municipal résista à l'application des idées de Calvin et de Farel et les deux hommes furent expulsés. À l'invitation de Martin Bucer, Calvin se rendit à Strasbourg où il séjourna entre 1538 et 1541, devenant pasteur d'une église de réfugiés français et wallons. Il continua de soutenir le mouvement réformateur à Genève et fut finalement invité à revenir dans la cité genevoise en 1541.

Après son retour, Calvin introduisit une nouvelle liturgie et des idées politiques novatrices malgré l'opposition de plusieurs puissantes familles de la ville qui tentèrent de s'opposer à son autorité, en particulier au moment du procès de Michel Servet. L'arrivée de réfugiés favorables à Calvin et de nouvelles élections lui permirent néanmoins d'évincer ses opposants du conseil municipal. Calvin passa les dernières années de sa vie à promouvoir la Réforme à Genève et dans toute l'Europe.

Calvin était un écrivain apologétique infatigable et un polémiste qui provoqua de nombreuses controverses. Il échangea également des lettres cordiales et favorables avec de nombreux réformés comme Philippe Melanchthonet Heinrich Bullinger. Outre l'Institution, il rédigea des essais sur la plupart des livres de la Bible de même que des traités de théologie et des confessions de foi. Il réalisait régulièrement des sermons dans tout Genève. Calvin fut influencé par la tradition augustinienne qui le poussa à disserter sur les concepts de prédestination et de la souveraineté absolue de Dieu en ce qui concerne la rédemption et dans la damnation. Les écrits et les prêches de Calvin ont fourni la base de la branche de la théologie réformée. Les églises réformées et presbytériennes ont depuis adopté la pensée calvinienne et l'ont largement répandue.

 

***

CALVIN 
 
 
 
Jean Calvin naquit, le 10 juillet 1509, en Picardie, dans la petite ville de Noyon. Son père, notaire de l’évêché, le destinait d’abord à la carrière ecclésiastique ; mais il se décida plus tard à l’envoyer étudier le droit à Orléans, où professait avec un grand éclat Pierre de L’Estoile. Le jeune étudiant, qui s’était déjà fait remarquer à Paris au collège de la Marche, étonna ses professeurs par la pénétration de son esprit et l’étendue de ses connaissances. Aussi le traitèrent-ils moins comme un élève que comme un collègue : chaque fois qu’ils discutaient une question difficile, ils l’appelaient ; ils voulurent lui donner le bonnet de docteur, sans l’astreindre à passer des examens ; mais il refusa, il était humble et consciencieux. Après un court séjour à Orléans il fut attiré à Bourges par le désir de profiter des leçons d’Alciat, le plus savant professeur de droit de cette époque ; mais il trouva dans l’antique capitale du Berry, un docteur qui lui apprit de meilleures choses encore qu’Alciat, on l’appelait Melchior Wolmar : c’était un Allemand que la persécution avait chassé de sa patrie, et qui s’était réfugié en France où la flamme des bûchers ne brillait pas encore. Wolmar mettait entre les mains de ses élèves un livre qui lui était cher, le Nouveau Testament grec ; il le lisait avec eux, et leur montrait que la foi de l’Église romaine n’était pas celle des temps apostoliques. Calvin, qui avait un esprit juste, un bon sens droit, une conscience délicate, accepta la foi chrétienne, et la propagea avec beaucoup de succès parmi ses connaissances et parmi ses condisciples. Il fut signalé à la police ecclésiastique, heureusement il échappa à ses recherches, et de Paris, où il s’était réfugié, il alla se cacher à Angoulême où le chanoine Du Tillet le reçut comme un ami. Notre jeune étudiant en droit était heureux ; il avait tout ce qui convenait à ses goûts : la riche bibliothèque de son hôte, une vie solitaire et un cabinet de travail. Pendant son séjour à Angoulême, il alla à Nérac ; c’est là qu’il vit le bon docteur Le-Fèvre d’Étaples, qui s’y était réfugié auprès de Marguerite de Valois. À la vue du jeune homme, le docteur eut comme une révélation de Dieu : « Il sera, dit-il, le restaurateur de l’Église en France. » 
 
     De Nérac, Calvin retourna à Angoulême, de là il se dirigea vers Paris en passant par Poitiers, où il séjourna quelque temps pour prêcher la foi évangélique. On montre encore dans cette ville, une grotte  {1}, où le jeune étudiant réunissait en secret ses auditeurs, qui appartenaient à la classe la plus instruite de la société. 
 
      Calvin était à Paris, lorsque arriva l’affaire des placards. Il prit la fuite et se réfugia à Angoulême, chez son ami le chanoine Tillet avec lequel il alla à Strasbourg et de là à Bâle. Il y vivait paisiblement, s’ignorant soi-même, quand tout à coup ce jeune homme timide s’enhardit, prend la plume, et, animé d’une légitime indignation, compose un livre et le dédie à François Ier. Ce livre, qu’il appela l’Institution chrétienne, est une réponse savante et éloquente aux calomnies qu’on répandait contre les protestants. L’auteur établit avec une grande autorité, que ses frères ne sont pas des novateurs, parce qu’ils n’ont d’autre enseignement que celui de Jésus-Christ et de ses apôtres. 
 
      L’écrit de Calvin causa une immense sensation ; les protestants étaient pleins de joie de se voir si bien défendus, et le nom du jeune écrivain, quoiqu’il n’ait pas signé son livre, commençait à devenir célèbre. 
 
      Le coup terrible que l’Institution chrétienne porta au papisme, excita les prêtres contre Calvin ; il s’enfuit à Ferrare auprès de Renée de France, la pieuse fille du bon Louis XII. La princesse le reçut avec beaucoup de distinction, et celui-ci récompensa largement sa gracieuse hospitalité, en l’affermissant dans la foi protestante, ainsi que plusieurs grandes dames de sa cour. Le fidèle serviteur de Dieu n’est jamais oisif, il trouve toujours de l’ouvrage dans le champ de son maître, et serait-il un pauvre Lazare, celui qui lui donne l’hospitalité, reçoit dans sa maison un hôte plus riche qu’un roi ; car, pendant que celui-ci n’ouvre que ses trésors périssables, le disciple de Jésus-Christ ouvre ses trésors célestes. Réjouissons-nous donc quand un homme de Dieu vient s’asseoir à notre table et dormir sous notre toit ; il ne nous quittera pas sans invoquer, sur nous et les nôtres, la bénédiction divine, et sans laisser après lui la bonne odeur de l’Évangile. 
 
   Quoiqu’il soit connu à la cour de la duchesse de Ferrare sous un autre nom que le sien, Calvin ne put y rester longtemps caché. Parti en fugitif de France, il y retourna en fugitif, mais laissant toujours après lui des traces de son passage. Il annonça l’Évangile, et quelquefois avec beaucoup de succès et de bénédiction, comme au val d’Aoste ; il rentra en France en 1533, et se dirigea bientôt après vers Genève. 
 
      Nous avons raconté l’entrevue de Guillaume Farel avec Calvin, et comment celui-ci se décida subitement à demeurer à Genève  {2}. Nous savons également comment ses habitants, après l’avoir accueilli, le bannirent de leur ville, parce qu’ils ne voulaient pas se soumettre au joug de Christ. 
 
      Calvin se retira à Strasbourg, où nous le trouvons en 1538 ; il y fut reçu avec une grande joie par les Français persécutés, qui s’y étaient réfugiés en grand nombre. Ils le nommèrent leur pasteur et s’assemblèrent dans le chœur de l’église des frères prêcheurs aujourd’hui le Temple-Neuf. 
 
      Les Strasbourgeois, fiers de posséder le célèbre auteur de l’Institution chrétienne, le nommèrent bourgeois de leur ville ; quelque temps après, le réformateur se maria avec Idelette de Bure, jeune veuve, mère de trois enfants ; elle était pieuse, douce, aimante et pauvre. 
 
    Le jour où Genève expulsa hors de ses murs ses deux réformateurs, le désordre y rentra ; l’instruction publique fut complètement négligée, les méchants levèrent la tête, le patriotisme s’affaiblit, des traîtres se concertèrent pour livrer la ville aux catholiques, qui y célébrèrent publiquement leur culte, qui y avait été aboli. C’en était fait de Genève, si ses bourgeois n’avaient eu l’instinct du danger qui menaçait leurs libertés ; alors on vit les mêmes hommes qui avaient chassé Calvin, le rappeler. Il refusa de revenir. Les magistrats de cette ville insistèrent fortement. « Nous sommes perdus, lui dirent-ils, si vous ne vous rendez à nos prières. » Touché de tant d’insistances, Calvin se dit : « Dieu le veut », et il quitta Strasbourg avec beaucoup de regrets, parce qu’il sentait que dans le champ où son maître l’appelait, de grandes tribulations l’attendaient ; mais, comme Abraham, il savait obéir. Il partit donc de Strasbourg, et arriva le 13 septembre 1541 à Genève avec la ferme résolution de faire de cette ville corrompue une ville modèle. L’entreprise était difficile ; mais le réformateur avait, quand il s’agissait du service de Dieu, une indomptable énergie. 
 
      L’œuvre que Calvin voulait faire était au-dessus des forces humaines ; il ne regarda pas à lui car il aurait perdu courage, mais à celui qui incline les cœurs les plus rebelles ; et Dieu, qui nous fait selon notre foi, aida son serviteur : il se servit de lui pour régénérer Genève. Tous ceux de ses habitants qui voulaient sauver leur âme furent joyeux en voyant ce vaillant champion à l’œuvre ; mais tous ceux qui voulaient faire, non ce qui est bon, mais ce qui leur semblait bon, lui firent une opposition formidable qui dura douze ans, pendant lesquels la vie du réformateur ne fut qu’une longue suite d’ennuis et de douleurs ; mais pendant ce temps il montra ce que peut un homme, quand, debout sur le rocher de la vérité, il combat pour la sainte cause de Jésus-Christ. 
 
      Ceux d’entre les Genevois qui combattaient Calvin s’appelaient des Libertins  {3} ; ils ne croyaient ni à Dieu ni au diable : ils étaient athées, « Après nous, disaient-ils, il n’y a plus rien ; quand l’homme est mort, tout est mort. » Ils voulaient jouir des délices du péché, et disaient hautement, et sans honte : « Mangeons et buvons ; car demain nous mourrons. » 
 
      Les Libertins voulaient que tout soit commun, et trouvaient des partisans chez ceux qui n’avaient rien, et surtout chez les paresseux ; mais comme il y a dans toutes les classes de la société des esprits mal tournés, il y avait un assez grand nombre de personnes aisées, et même riches, qui professaient leurs principes, sans se hâter cependant de les mettre en pratique. Parmi eux se trouvait un gentilhomme qui avait un domestique, Libertin comme lui ; ce misérable força une nuit le secrétaire de son maître, et lui vola tout son argent. Au moment où le gentilhomme faisait cette terrible découverte, son cordonnier entra chez lui, et le trouva dans une grande fureur ; les mots de coquin, de voleur, d’infâme, tous à l’adresse de son domestique, sortaient de ses lèvres tremblantes de colère. 
 
      « Calmez-vous, lui dit le cordonnier, qui était aussi un Libertin, calmez-vous, votre domestique ne vous a rien volé, puisqu’il n’a pris que ce qui était son bien ; tout n’est-il pas commun entre nous ? » 
 
      Le gentilhomme, impatienté, mit à la porte le cordonnier. Quelques jours après, celui-ci vit, en se réveillant, la porte de sa boutique forcée ; ses souliers, ses bottes et ses instruments de travail, tout avait disparu : il était ruiné ; il poussa des cris déchirants qui attirèrent ses voisins, et bientôt, dans tout son quartier, on connut son malheur. Dès que le gentilhomme l’apprit, il accourut vers lui, et le trouva vociférant des injures contre son voleur, qu’il voulait faire noyer, pendre, décapiter. « Calmez-vous, lui dit-il, votre voleur ne vous a pas volé, il n’a pris que ce qui lui appartenait, tout n’est-il pas commun entre vous ? » Le cordonnier comprit : la leçon le corrigea-t-elle  {4} ? 
 
      Cette  aventure, en se colportant de lieu en lieu, fit rire aux dépens des Libertins qui se condamnaient ainsi eux-mêmes ; le bon sens public faisait ainsi justice d’une doctrine monstrueuse qui ne peut avoir pour disciples que des têtes folles ou des cœurs pervertis. 
 
     À la tête des Libertins, se trouvait un Genevois nomme Amied Perrin : il avait de l’esprit, de l’intelligence et de la fortune ; il aurait pu beaucoup faire pour le bien de sa patrie, s’il n’avait eu le malheur d’avoir des parents qui l’élevèrent comme un enfant gâté. Sous leur détestable direction, toutes les mauvaises dispositions de Perrin se développèrent aux dépens des bonnes : l’ivraie étouffa le bon grain. Le jeune Genevois était vaniteux, recherchait les premières places, avait horreur d’une vie simple, et se faisait distinguer parmi les plus dissipés, et cependant il avait beaucoup contribué au rappel de Calvin ; mais quand il vit que le réformateur pesait dans la même balance le riche et le pauvre, il devint son plus irréconciliable ennemi, et chercha, non seulement les moyens de l’entraver dans ses œuvres, mais encore de le faire chasser de la ville. Ce malheureux, aveuglé par sa haine, ne recula pas devant la pensée horrible de trahir sa ville natale et de la vendre à l’étranger. 
 
      Calvin n’était pas seulement le législateur de Genève, il était encore le conseiller de toutes les églises réformées de France et de Suisse ; de toute part on s’adressait à lui, et rarement sa voix n’était pas écoutée : il était l’homme de bon sens par excellence ; sa vie se passait à prier, à lire, à étudier, à prêcher, à écrire et à enseigner ; mais ce qui étonne, c’est que cet homme, au corps chétif et souffrant, travaillait plus que l’homme le plus robuste, et savait, par sa fière et indomptable volonté, dire à la douleur : « Tais-toi. » Il n’était pas cependant toujours le maître : quand il était vaincu momentanément par la souffrance, il levait des yeux suppliants vers le ciel, et s’écriait tristement : « Jusques à quand, mon Dieu ! », puis il reprenait son travail. 
 
     Cet homme, que ses ennemis nous représentent comme inaccessible à la pitié et aux affections, avait un cœur tendre sous des dehors froids et austères. S’il avait été ce que le font ses accusateurs, il n’aurait pas eu tant d’amis qui l’affectionnaient plus encore qu’ils ne l’admiraient. Ce qui l’a fait accuser de dureté, c’était sa justice et son respect pour la volonté de Dieu ; il se montrait plus sévère pour lui-même que pour les autres ; cependant il était homme, et plusieurs fois il céda à la colère. Mais sa colère était celle des anciens prophètes d’Israël à la vue des iniquités répétées des enfants de Jacob. Un jour Genève fut témoin d’un spectacle unique, étrange. C’était en 1553, un Libertin, nommé Berthelier, excommunié à cause de ses débauches …  ne voulut pas se soumettre aux ordres du consistoire, et en appela au Petit-Conseil de sa décision afin d’être réintégré dans la communion des fidèles. 
 
      Calvin déclara au Petit-Conseil dans lequel Berthelier avait de nombreux partisans, que, puisque en 1543 les magistrats avaient attribué au consistoire seul le droit d’excommunication, sa décision ne pourrait être sanctionnée que par son exil ou par sa mort. 
 
      Le Petit-Conseil, qui connaissait l’inflexibilité de Calvin  conseilla à Berthelier de s’abstenir pour le moment de se présenter à la communion. 
 
      Il ne voulut rien promettre, et bientôt le bruit se répandit qu’il se présenterait à la sainte Table accompagné d’une nombreuse compagnie de débauchés. 
 
   Le 3 septembre 1553, l’église de Saint-Pierre était remplie d’une foule immense, inquiète, agitée ; les pasteurs sont à leur place accoutumée, calmes, mais résolus à maintenir leurs droits ; les amis de Berthelier entrent la tête haute, le regard hardi, la main sur la poignée de leurs épées, et se placent autour de la Table sainte. L’excommunié ne paraît pas encore. Il n’entrera que lorsque Calvin aura commencé son discours …  Le réformateur monte en chaire, rien ne trahit la sainte et juste indignation de son âme ; il est calme comme dans les jours ordinaires de sa vie. Il énumère les conditions nécessaires pour communier dignement, et il termine son discours par ces paroles : « Quant à moi, tant que Dieu me laissera ici, puisqu’il m’a donné la constance, et que je l’ai reçue de lui, j’en userai quoi qu’il arrive, et je me gouvernerai suivant la règle de mon maître, laquelle m’est toute claire et notoire, comme nous devons recevoir la sainte Cène. Si quelqu’un auquel il est défendu par le consistoire voulait s’approcher de cette Table, il est certain que je me montrerai pour ma vie tel que je dois ! » 
 
      Calvin descend de chaire au milieu des regards pleins d’anxiété de l’assemblée, se penche sur la sainte Table et la bénit. 
 
      Au même instant les Libertins se lèvent et s’avancent pour saisir le pain et le vin. 
 
      Calvin laisse alors échapper son indignation qu’il comprime depuis une heure, lance des regards flamboyants sur les amis de Berthelier et couvrant de ses mains les symboles sacrés, il s’écrie d’une voix tonnante : « Vous pouvez briser ces mains, vous pouvez couper ces bras, vous pouvez prendre ma vie, mon sang vous appartient, versez-le, car aucun de vous ne pourra me forcer à donner les choses saintes aux profanes et à déshonorer la Table de mon Dieu. » 
 
      A la vue de cet homme frêle de corps, mais sur la figure duquel Dieu a placé le regard terrible d’un prophète, les libertins demeurent interdits. Ils hésitent et se retirent au milieu des murmures improbateurs de l’assemblée. Après leur départ la Cène est célébrée au milieu du plus profond recueillement. 
 
     Le courage de Calvin sauva l’Église d’un grand péril ; le Petit-Conseil n’osa plus soutenir Berthelier, ni se mettre en lutte ouverte avec le consistoire. 
 
      Nous ne suivrons pas le réformateur dans sa vie si agitée, les limites que nous nous sommes imposées nous en empêchent ; mais dans les biographies d’Idelette de Bure, et de Michel Servet, nous répondrons aux reproches de dureté et de cruauté que lui ont adressés ses ennemis, qui n’ont jamais voulu ni le suivre dans sa vie intime, ni faire la part des temps dans lesquels il a vécu. 
 
      Moins vieilli par les années que par les maladies et par ses travaux incessants, Calvin voyait s’approcher l’heure où il irait rendre compte à son maître des talents qu’il lui avait confiés. À ce moment suprême de sa vie il regarda la mort en face, sans se troubler, sa conscience lui rendait ce beau témoignage : « qu’il avait travaillé et ne s’était point lassé. » 
 
      Ses amis pleuraient autour de son lit de douleur, lui les consolait et leur donnait ses dernières directives ; jamais un murmure ne sortait de ses lèvres, mais quand la douleur devenait trop vive, il levait les yeux au ciel et s’écriait : « O mon Seigneur ! jusques à quand boirai-je encore ce calice ? » Puis il reprenait son travail, et à ses amis qui le grondaient doucement il disait : « Vous voulez donc que, lorsque le Seigneur viendra, il ne me trouve pas veillant. » Il travailla jusqu’à la fin, et comme, le 27 mai 1563, vers les huit heures du soir, il prononçait ces paroles arrachées par la douleur : « Les souffrances du temps présent ne sont rien en comparaison de la gloire à venir », il expira à l’âge de cinquante-trois ans. 
 
      Sa mort causa un immense deuil à Genève ; ses habitants suivirent en pleurant son cercueil, et leurs larmes furent la seule oraison funèbre digne de l’homme qui fit de leur ville la cité la plus morale et la plus savante de l’Europe. 
 
    Calvin vécut pauvre et mourut pauvre, et ne laissa, tant en vaisselle qu’en argent, que deux cents écus, et cependant ses ennemis lui reprochent son luxe et sa richesse. Mais Dieu a permis que son grand serviteur soit justifié par un pape : « Ce qui a fait la force de cet hérétique, dit Pie IV, c’est que l’argent n’a jamais été rien pour lui. Avec des serviteurs pareils je serais le maître des deux rives de l’Océan. » 
 
      Le voyageur qui visite aujourd’hui Genève, cherche en vain dans le cimetière de Plainpalais le lieu où il fut inhumé. Il trouve seulement une petite pierre carrée sur laquelle sont gravées ces deux lettres : J. C. Est-ce une main pieuse qui a voulu indiquer la place qu’il occupe ? nul ne saurait le dire. Mais le réformateur n’a besoin ni de pierres de granit, ni de colonnes de marbre pour vivre dans la postérité, et en aurait-il de travaillées par l’habile statuaire Jean Goujon, elles ne diraient pas mieux sa grandeur que ces belles paroles : 
 
      « Dis-moi, Genève, où as-tu érigé le monument de Calvin, le fondateur de ta puissance spirituelle, qui par sa voix dissipa la nuit et fit reparaître la Parole de Dieu radieuse comme l’étoile du matin ? 
 
      Voici le cimetière où il fut déposé ; mais jamais pierre sépulcrale n’a orné la tombe de ce grand trépassé. C’est lui-même qui l’a solennellement défendu, voulant que sa poudre se confonde avec la poudre d’autrui. 
 
      Fidèle serviteur, telle était la pensée de toute ta vie : que le Dieu de grâce soit seul glorifié. C’est à sa gloire, et non à la tienne, que tu vouas tes efforts, c’est le zèle pour sa maison qui t’a consumé. 
 
      Et pourtant voici l’arrogance qui s’érige en juge pour te condamner ; voici les nains qui conspirent pour abattre le géant, pour l’abaisser à leur niveau dans la poussière. 
 
     Tu partages le sort des vrais soldats de Christ, celui d’être aussi chaudement haï des uns, que chaudement aimé des autres. Tandis que certaines gens brûlent du désir de dresser ton bûcher, bien des âmes bénissent ta mémoire. 
 
      Tu fus le champion de la liberté chrétienne, affranchissant les esprits du joug, mais les soumettant à une sainte discipline. C’est pourquoi tous les libertins et les papistes te font sentir tout le poids de leur haine implacable. 
 
      À bas ! s’écrient les uns, à bas le pharisien, le tyran dont le joug étouffe l’esprit. A bas ! s’écrient les autres, À bas le manichéen qui fait de Dieu la source du mal ! 
 
      Ah ! si vous saviez combien il a sondé les profondeurs de cet océan qui est la sainte Écriture, combien de perles il en a tirées, vous ne pourriez lui refuser votre admiration, vous verriez en lui un autre saint Augustin. 
 
      Si la fiancée trouve dans son collier une perle fausse, une seule, rejettera-t-elle pour cela sa parure tout entière ? L’amour se réjouit de l’éclat des perles pures, tandis que l’envie ne voit que la tache seule. 
 
      Non, s’écrie la haine, point de monument ! C’est une flétrissure qu’il faut infliger à ce fanatique sans cœur ni charité ! Nul éloge n’effacera jamais la brûlure qui lui reste du bûcher de Servet. 
 
      C’est donc lui seul que vous chargez de tout le poids de cette grande faute ? Il a failli, mais de concert avec sa génération. C’est à l’école de Rome qu’il apprit le prétendu droit de brandir le glaive sur la tête de l’hérétique. 
 
     Il a failli, mais entouré de nobles conseillers, approuvé de Mélanchthon même, ce modèle de mansuétude. Toute sa vie de sacrifices ne peut-elle pas compenser ce méfait ? 
 
      Il brûlait de zèle, mais c’était pour la cause de Dieu, c’est le zèle pour sa maison qui l’a consumé. Il brûlait mais non pour venger sa propre cause ; les foudres dont il s’armait, ce sont les foudres du prophète Élie. 
 
      Tel que Moïse arrêtant par sa rigueur Israël dans le cours de ses péchés, lui aussi levait haut les menaçantes tables de la loi, pour opposer une digue au torrent de la corruption. 
 
      Mais tel que Paul, il annonçait aussi le Dieu de grâce, la Parole de la croix ; il offrait à toute âme contrite et chargée le baume des consolations de l’Évangile. 
 
      Loin d’être sévère pour autrui et délicat pour lui-même, il se soumettait le premier à une sainte discipline, faisant pénétrer l’épée à deux tranchants jusqu’aux replis les plus cachée de son cœur. 
 
      La parole de la croix fut pour lui une puissance de Dieu qui le retrempa comme l’acier et fit grandir ce héros de la foi. Mortifiant dans son cœur tous les attraits du plaisir, il a été crucifié au monde, et le monde l’a été à son égard. 
 
      Voilà cet homme inflexible comme une statue de bronze, ayant la poitrine couverte du bouclier de la foi, mais sans fermer son cœur à l’esprit de la charité, ce cœur qui brûlait de zèle pour la gloire de Dieu et pour le salut du monde. 
 
     Voilà cet homme dont Dieu fit une colonne de son Église, roide comme les rochers des Alpes, mais dominant de haut les choses basses et s’élançant avec majesté comme les Alpes. 
 
      Venez maintenant, enfants du siècle, rechercher la paille dans son œil ! Critiquer les géants, voilà l’orgueil des nains. Ils se font une joie de découvrir un défaut et de lancer contre ce point noir les flèches de leurs sarcasmes. 
 
      Cet homme grave est trop rigide et trop sombre ; point de gaîté, point .d’âme, point de poésie ! Ainsi je vous entends murmurer, hommes du monde ! mais jamais vous n’atteindrez à la hauteur de cet aigle. 
 
      Amasser et jouir, voilà votre vie ; le moi, le petit moi, voila le centre de votre univers. Quant à lui, c’est à Dieu, c’est à la gloire de Dieu que tendaient tous ses efforts ; C’est au service du Seigneur qu’il s’est dépensé avec joie. 
 
      Si son cœur ne ressemblait pas à l’Alpe parsemée de roses, il était semblable en profondeur au lac Léman, dont la surface d’azur réfléchit comme un miroir la tête du mont Blanc couvert de neiges éternelles. 
 
      La lumière que l’esprit de Dieu alluma en lui, il ne l’a portée que dans un vase d’argile, afin qu’il se maintienne dans l’humilité et que la grâce de Dieu se manifeste dans toute sa plénitude. 
 
      Aussi n’oubliant pas tes infirmités, je me garde de me prosterner devant toi, ô Calvin pour t’adorer ; mais je m’incline devant ta grande figure, et je sens profondément combien tu me surpasses. 
 
      Ton épitaphe, ton nom ne se trouvent pas inscrits sur le marbre entouré d’une grille dorée ; mais un monument plus durable est érigé pour toi dans tout cœur que fait battre l’amour du Seigneur de gloire  {5}. » 
 
Notes 
 
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{1} Elle est connue encore de nos jours sous le nom de Grotte de Calvin. 
 
{2} Biographie de Farel 
 
{3} Ou amis de la liberté Ou amis de la liberté 
 
{4} J. Gabarel, Histoire de l’église de Genève. 
 
{5} Traduit d’une ode intitulée le « Tombeau de Calvin » (Calvin’s Grab) par M le pasteur Stœber de Mulhouse, l’un des poètes favoris de l’Allemagne. 
 

 

 

 

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