Jacques
INTRODUCTION
On sait que Luther appelait cette lettre « une épître de paille … car, disait-il, elle n’a pas de caractère évangélique » (cf. #1Co 3:12,13). En cela, le réformateur montrait qu’il n’avait pas su comprendre que Jacques ne prétendait pas écrire un ouvrage de théologie, mais voulait reprendre et redresser spirituellement. Il nous faut d’abord écouter le Maître et son serviteur Paul, puis laisser Jacques, cet autre serviteur du Seigneur, nous persuader d’entendre et de suivre tout ce qui est déjà donné dans la Parole de Dieu. Car Jacques n’écrit pas un traité d’évangélisation ou de dogmatique, mais une exhortation adressée à des croyants. Dès que l’Évangile a été reçu, il importe au disciple de vivre la vie chrétienne. Il a des bénédictions et des privilèges, mais aussi des devoirs à remplir. Jacques s’efforce donc d’enseigner quels sont ces devoirs et presse ses lecteurs de les assumer, afin de mettre en pratique la Parole. Son exhortation est basée sur l’enseignement reçu.
Cela explique l’absence dans l’épître d’une grande partie de la proclamation du message de l’Évangile, le kerygma. Toutefois, si ce dernier n’est pas toujours explicitement développé dans les détails, les données théologiques les plus importantes se trouvent incluses dans la référence à la Parole (#Ja 1:21). Jésus est le Christ, le Seigneur de gloire qui revient et dont le nom doit être honoré et non blasphémé. L’expérience de la conversion et du salut est impliquée dans le langage de Jacques (#Ja 1:1,18,21; 2:1,7; 5:8).
Apparemment, l’argumentation ne semble pas suivre une ligne continue et l’épître peut paraître décousue. Cela s’explique partiellement par une parenté avec la diatribe grecque (discussion d’école). Il ne faut cependant pas trop demander à cet argument, la diatribe étant une dissertation éthique de caractère populaire, aux particularités bien marquées : dialogue bref, questions et réponses, discussion vive et critique avec un contradicteur imaginaire et autres procédés littéraires frappants destinés à impressionner le lecteur. Mais notre épître est bien plus qu’une simple diatribe. Le grec en est excellent et ne donne nullement l’impression d’une traduction. Pourtant il contient des traits sémitiques, un arrière-plan juif ; l’Évangile y est au centre.
La lettre commence avec une majesté toute simple. Et parmi les hommes du Nouveau Testament, un seul peut en revendiquer la paternité : Jacques, le frère du Seigneur (cf. #Mr 6:3 ; #Ac 15:13 ; #Ga 1:19). L’authenticité ne peut cependant être démontrée et certaines difficultés ont été soulevées. Le grec, a-t-on dit, est trop bon ; l’auteur ne mentionne pas sa qualité de frère du Seigneur ; le kerygma manque ; il n’y a pas, entre la loi rituelle et la loi morale, une opposition aussi nette qu’on aurait pu l’attendre. Il y a aussi le problème de la relation avec Paul et l’interprétation à donner aux témoignages externes. Il existe des réponses à ces critiques ; diverses théories sont présentées : pseudonymie, anonymie, document originellement juif avec addition des versets #Ja 1:1 et #Ja 2:1 ; un « arrangement patriarcal » (cf. #Ge 49) et d’autres. Mais aucune n’est vraiment convaincante.
L’arrière-plan juif de cet « Amos chrétien » (comme on l’a appelé), les éléments sémitiques, le parallèle avec #Ac 15 et les similitudes avec le Sermon sur la Montagne (bien qu’il n’y ait pas dépendance littéraire), tout cela ne peut prouver le point de vue traditionnel quant à l’auteur mais s’accorde fort bien avec ce point de vue. Tant qu’elle n’aura pas été battue en brèche par des arguments solides et qu’aucune autre théorie satisfaisante n’aura été proposée, la conception traditionnelle aura droit de cité.
Si Jacques, le frère du Seigneur, est effectivement l’auteur, l’épître doit remonter au moins à l’an 62 (certains la placent même avant 50). Cela découle de ce qu’il ne s’y trouve aucune référence à la chute de Jérusalem en 70 ; les conditions sociales (grands propriétaires terriens) ne pourraient s’appliquer à l’époque qui a suivi ; rien n’est dit non plus au sujet de la controverse qui opposait Juifs et Gentils. L’attente impatiente de la seconde venue du Christ, de même que la discipline intérieure des communautés, se rattachent à l’Église primitive. Par ailleurs, il n’est pas nécessaire de penser que Jacques avait dû lire les Évangiles ou certaines épîtres de Paul. Ces faits en eux-mêmes ne peuvent prouver à l’évidence une date reculée, mais ils parlent fort en faveur de cette thèse. Ceux qui se font les avocats d’une rédaction tardive (à la fin du Ier siècle ou même au IIe) semblent influencés jusqu’à un certain point par leurs vues relatives à l’auteur.
La lettre est écrite à des chrétiens, sans exclure les judéo-chrétiens. Il est peut-être utile de noter que Jacques, avant la résurrection, ne paraît pas avoir été un croyant enthousiaste (cf. #Jn 7:3-5). Mais le Seigneur lui apparut (cf. #1Co 15:7) dans sa miséricorde en dépit de #Ac 10:41.
SOMMAIRE
1.1 Salutation
1.2-4 Les épreuves
1.5-8 Acquisition de la sagesse
1.9-11 Évaluation des richesses
1.12-15 Nature de la tentation
1.16-18 Imputation de tout bien à Dieu
1.19-27 Mise en pratique de la Parole
2.1-13 Acception de personnes
2.14-26 La foi agissante
3.1-18 Modération et sagesse dans l’enseignement
4.1-17 Esprit de discorde et mondanité
5.1-6 Mise en accusation des riches
5.7-11 Attente patiente du Seigneur
5.12 Condamnation du serment
5.13-20 Principes spirituels appliqués
COMMENTAIRE
1.1 Salutation
Le commencement est conventionnel : épître de qui et à qui, plus les salutations (cf. #Ac 15:23-29; 23:26-30). Jacques ne s’étend pas comme le fait parfois Paul (cf. #Ro 1:1-7), mais rend évident qu’il estime, en qualité de chrétien, avoir le droit de s’adresser à des chrétiens envers qui il se sent une responsabilité pastorale. En même temps, c’est en tant que Juif qu’il s’adresse à des Juifs.
Serviteur (grec : doulos, « esclave »). Le terme suppose l’absence de tout droit, l’entière dépendance à l’égard du maître et l’absolue obéissance. Il convient parfaitement pour décrire ce que doit être l’attitude du chrétien vis-à-vis de Dieu, même si l’esclavage est par ailleurs dénoncé (cf. #Jn 15:14 s.). Dans le Judaïsme, serviteur de Dieu était largement employé pour parler d’un homme qui se consacrait à Dieu d’une manière particulière. Jacques prend donc tranquillement sa place avec les patriarches et les prophètes. Quand un Juif priait, il se présentait lui-même à Dieu comme un serviteur. L’expression est donc religieuse ; elle combine pour Jacques l’autorité et la piété.
Notez l’assurance discrète avec laquelle Jacques place le Seigneur Jésus-Christ à côté de Dieu. Le nom de Jésus résume toute la tradition évangélique de l’homme de Nazareth historique. Le terme Christ (forme grec de l’hébreu Messiah « Celui qui est oint » : #Ps 2:2 ; #Ac 4:26), montre que Jacques croit à la messianité de Jésus. Seigneur est employé dans les LXX pour transcrire le Nom ineffable (Yahvé), et implique la souveraineté de Dieu, exercée d’une façon personnelle. Dieu a le droit de gouverner, et rien ni personne dans l’univers créé ne peut échapper à son contrôle. Jacques maintenant applique ce terme à Jésus. Il peut se regarder lui-même comme l’esclave de son nouveau propriétaire, parce qu’il considère l’œuvre messianique comme un acte de rachat. La seigneurie de Jésus n’est pas une innovation ; l’enseignement en remonte à Jésus lui-même (cf. #Mt 22:41-45; 28:18), cf. #1Co 7:23.
L’expression les douze tribus … semble d’abord se référer aux Juifs dispersés dans le monde. Le terme est employé pour la nation alors en vie, en #Ac 26:7, quoique ce fût déjà là un anachronisme. Cependant, le contenu de l’épître peut difficilement être limité aux Juifs. La communauté chrétienne est le nouvel Israël de Dieu, de sorte que le terme « douze tribus » qui décrivait l’ancien Israël, pourrait s’appliquer aux chrétiens (cf. #Ac 15:16 s.). Les croyants sont ainsi « dispersés » loin de chez eux, et au mieux sont des visiteurs occasionnels (cf. #1P 1:1; 2:11). Jacques voyait peut-être une illustration de ce fait en #Ac 8:4; 11:19. On comprend que, dans un tel contexte, Jacques ne se soit pas présenté comme le frère du Seigneur, mais comme son esclave, exerçant son ministère auprès de « la totalité de la nation d’Israël » (J. H. Ropes, ICC), les douze tribus de l’Église croyante. Cf. #1P 2:9 s.