TETZEL

10/02/2016 10:54
JOHANN TETZEL 
 

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PirnaVoir et modifier les données sur Wikidata
Décès Voir et modifier les données sur Wikidata
LeipzigVoir et modifier les données sur Wikidata
Nationalité
Activités
prélat catholique, prédicateurVoir et modifier les données sur Wikidata
Domaine
Ordre religieux

 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
Johann Tetzel
Johann Tetzel est un prêtre dominicain allemand, surtout célèbre pour les trafics d'indulgences destinées à financer la construction de la basilique Saint-Pierre de Rome.
 
 
 
 
***
 
Regardez cette figure, c’est bien là le moine du moyen âge, celui que le spirituel Érasme ridiculisait tout en le redoutant. Quelle obliquité dans son regard ! quelle effronterie dans tout l’ensemble de sa physionomie ! un seul coup d’œil jeté sur ce portrait, suffit pour nous faire dire : « Cet homme n’est pas un saint homme de Dieu. » Tetzel, c’est son nom, ne doit l’immortalité qui s’est attachée à son souvenir, qu’au commerce des indulgences dont il fut, au seizième siècle, le grand colporteur. Il avait toutes les qualités requises pour ce profane et sacrilège métier ; une santé de fer, une voix de taureau, un front qui ne savait pas rougir. Il était l’homme de la circonstance. Mais avant de voir notre dominicain à l’œuvre, expliquons, la doctrine touchant les indulgences. 
 
      Rome enseigne qu’il y a des hommes qui font plus de bonnes œuvres que Dieu n’en demande pour entrer dans le ciel, quoique la Sainte Écriture dise positivement que nous serions des serviteurs inutiles, alors même que nous aurions observé toute la loi. 
 
      Dès qu’elle eut trouvé qu’il y avait des hommes qui avaient plus de mérites qu’il n’en fallait pour être sauvés, le pape se déclara le propriétaire de ces mérites et apprit au monde qu’il les recueillait dans une cassette dont seul il possédait la clef, et à laquelle il donna le nom de trésor des indulgences. 
 
      Le mot trésor était bien trouvé ; en effet, jamais mine n’a rapporté autant d’or et d’argent que la cassette papale ; car le saint-père, au lieu de donner gratuitement ses pardons, comme Jésus-Christ, se mit à absoudre à beaux deniers comptants, et ses indulgences, dont les protestants ne font aucun cas, devinrent l’une des sources des revenus pontificaux. 
 
    Quand on sut que le ciel s’achetait, on se précipita vers la cassette papale, où chacun pouvait puiser, excepté les pauvres ; à côté de chaque péché il y avait la somme qu’il fallait donner pour l’effacer. 
 
      Le moine paie 8 gros pour l’horrible péché d’avoir des pointes à ses sandales ; le prêtre est puni de 8 gros pour l’enterrement ecclésiastique d’un usurier ; le parjure coûte 6 gros ; la même amende est imposée au faux témoin dans un procès criminel ; le prêtre qui vole son église paye 7 gros ; celui qui célèbre le culte dans une ville frappée d’interdit, en paye 9, et avec 7 gros on peut se dispenser des jeûnes pendant le carême et les autres jours pendant lesquels l’usage de la viande est défendu. — Pour le mariage contracté dans un degré de parenté prohibé, il y a des dispenses variant selon le degré. — Le laïque qui tue un prêtre ou un moine d’un grade inférieur à celui d’évêque, est puni de 7 à 9 gros ; mais le laïque qui assassine un autre laïque, n’est condamné qu’à 5 gros. Celui qui tue son père, sa mère, son frère, sa sœur, sa femme, paye de 5 à 7 gros. La dispense accompagnée de l’absolution, coûte à un prêtre assassin 16 à 19 gros ; l’absolution et la dispense pour le vol, l’incendie, la rapine et le meurtre entre laïques, coûte 8 gros ; les brigands et les incendiaires ne payent que 6 gros. — Un homme abandonné de sa femme et qui, ayant reçu la fausse nouvelle de sa mort, aurait contracté un second mariage, est maintenu dans ses nouvelles noces moyennant 10 gros. Le moine qui, sans permission, est sorti de son couvent, est condamné à une amende de 7 à 9 gros ; enfin, l’absolution pour le religieux excommunié, coûte 9 gros, celle du prêtre 10  {1}. 
 
      Un tarif qui contient de telles choses, et nous ne citons que ce qu’il y a de moins révoltant, n’a pu être inspiré que par le démon de l’avarice ; aussi le poète Mantouan disait : Tout est à vendre à Rome, Dieu même ! 
 
      Les papes ne surent pas d’abord exploiter les péchés des hommes ; ils tâtonnèrent, comme dans les entreprises qui commencent ; mais peu à peu ils devinrent experts dans l’art de vendre le ciel et comprirent tout ce que ce trafic pouvait leur rapporter ; alors ils perdirent toute mesure et sous Léon X on leva le masque ; le scandale fut complet. 
 
    Ce pape appartenait à l’illustre famille des Médicis de Florence ; contrairement à la politique des cardinaux, qui n’élevaient au pontificat que des vieillards, afin de se réserver la faculté de gouverner l’Église sous leur nom, Léon X n’avait que 36 ans quand il monta sur le trône pontifical et n’avait aucune des qualités d’un pape désireux de réformer l’Église. Il était sceptique en religion, fastueux, prodigue, immoral ; sa cour ressemblait à celle de Salomon quand il avait perdu la crainte de Dieu, qui est la sagesse des rois. Léon X avait les goûts du brillant fils de David, mais il n’avait pas ses trésors ; s’il les avait possédés, il les aurait dévorés en quelques années. Il était donc, dans les splendeurs de son Vatican, aussi pauvre que Louis XIV dans son palais à Versailles, quelques années après la révocation de l’édit de Nantes. Il ne pouvait payer ni ses secrétaires, ni son cuisinier, ni ses fournisseurs, ni ses musiciens, ni ses peintres, ni ses danseurs. Il aurait fait banqueroute si un vieux cardinal n’était venu à son secours ; ce haut dignitaire ecclésiastique qui était aussi économe de son bien que son maître l’était peu du sien et de celui des autres, lui conseilla, pour se tirer d’embarras, de battre monnaie avec les indulgences. Le moyen n’était ni bien nouveau, ni bien chrétien ; mais Léon, qui, en parlant de l’Évangile, disait « cette fable de Jésus-Christ, » ne pouvait pas être scrupuleux, et lui qui aurait sans hésiter, vendu son âme au diable, pourvu qu’il la lui paye bien, n’hésita pas à exploiter en grand le commerce des indulgences. 
 
      Il fallait cependant trouver un moyen de faire décemment la chose, on le trouva : l’église de Saint-Pierre à Rome n’était pas achevée ; on dira donc que le saint-père daigne ouvrir sa précieuse cassette pour achever le monument dédié au prince des apôtres, monument qui éclipsera tous les autres en beauté, en grandeur, en magnificence ; qui osera alors refuser sa pièce d’or ou sa pite à cette œuvre sainte, surtout quand, en y contribuant, on s’ouvre, pour soi-même, les portes du ciel ? 
 
      Le pontife et son conseiller jetèrent les yeux sur tous les pays de la chrétienté, et convaincus qu’il fallait exploiter ceux dont les habitants étaient les plus simples et les plus pieux, ils choisirent la Suisse et l’Allemagne, sur lesquelles ils lancèrent leurs agents. 
 
    Il y avait alors en Allemagne un jeune archevêque, nommé Albert de Brandebourg, qui avait les goûts dispendieux de Léon X et qui, comme lui, s’était ruiné par ses folles dépenses ; il devait jusqu’à son manteau d’archevêque aux Fugger d’Augsbourg, célèbres banquiers, qui lui avaient avancé 30 000 ducats pour le payer. Ce prélat comprit de suite qu’il pourrait refaire sa fortune ébréchée dans le commerce des indulgences ; il y associa les Fugger, qui acceptèrent, parce que c’était le seul moyen de rentrer dans les fonds qu’ils lui avaient avancés ; dès lors la campagne s’ouvrit, et Tetzel fut chargé de vendre la marchandise sacrée en Allemagne, pendant qu’un autre fripon, nommé Sanson, était chargé d’exploiter la Suisse. 
 
      Tetzel avait 55 ans et n’avait pas bonne réputation, car il avait été condamné, quelques années auparavant, pour cause d’immoralité, à être cousu vivant dans un sac et à être jeté dans une rivière ; la sentence, grâce à de puissantes protections, ne s’exécuta pas ; mieux aurait valu, pour lui, mourir noyé que de faire ce sacrilège et profane métier. Nous avons dit qu’il était l’homme de la circonstance ; en effet, il aurait été difficile que le pape trouve parmi ses cent mille moines un agent plus habile ; à peine avait-il commencé, qu’une foule immense se pressa avidement autour de lui, comme autour du char d’un charlatan. Il disait sa marchandise de première qualité ; sa vertu était incomparable ; elle ouvrait les portes du ciel aux plus scélérats : « Achetez, achetez, criait-il de sa voix de Stentor, à peine aurez-vous payé que vos péchés vous seront remis, auriez-vous tué père, mère, enfants. » Quand, du haut de sa chaire, il voyait que l’élan se refroidissait, il versait des larmes à  volonté : « Malheureux, disait-il à ses auditeurs, vous avez des parents, des amis dans le purgatoire ; vous pouvez les en retirer avec un peu d’argent et vous ne le voulez pas ; ingrats égoïstes ! » et les pleurs coulaient alors de tous les yeux ; la veuve donnait pour son mari, le père pour son enfant, 1’enfant pour ses parents, et la caisse du moine se remplissait ; la recette du jour était bonne, Tetzel était content, et le soir, avec ses compagnons, il terminait la journée dans les cabarets. 
 
      Les honnêtes gens étaient scandalisés de l’audace du moine ; mais ils se sentaient impuissants et soupirant en silence, ils disaient : « Dieu ne nous enverra-t-il pas un libérateur ? » Parmi eux se trouvait un gentilhomme qui avait plus de courage ; il alla trouver Tetzel et lui dit :
     Il y a un mauvais coquin que je désire châtier ; mais je voudrais avoir une indulgence qui me le permette sans danger. 
 
      — Le cas est grave, répondit le dominicain. 
 
      — Mais si je paye bien, dit le gentilhomme. 
 
      — Il y a alors moyen de s’arranger, répondit Tetzel. On convint du prix, et le moine donna au gentilhomme l’indulgence qu’il demandait. 
 
      Quelques jours après, Tetzel et ses aides traversaient un bois pour aller exploiter leur marchandise dans une localité voisine, quand tout à coup, notre gentilhomme suivi d’une troupe bien armée, tomba sur le dominicain, à coups de bâton et lui enleva sa précieuse cassette. 
 
      Le moine, furieux, porta plainte contre le gentilhomme, qui, à ses yeux, méritait plus que la mort ; s’il avait existé une peine plus forte, il l’aurait réclamée ; l’accusé, sans s’émouvoir, comparut devant le juge et lui présenta l’indulgence que le dominicain lui avait remise. « Les indulgences, dit-il, sont bonnes ou mauvaises ; si elles sont bonnes, elles doivent me servir, si elles sont mauvaises, Tetzel n’est qu’un fripon. » 
 
      Le juge renvoya le gentilhomme de la plainte et Tetzel, tout honteux, sortit de l’audience, mais n’en continua pas moins son odieux métier. 
 
     Quand Luther apprit que Tetzel s’approchait de Wittemberg, il tressaillit d’indignation comme un prophète d’Israël à la vue d’un prêtre de Bahal. Il monta en chaire et déclara à tous ceux qui achetaient des indulgences, que cela ne leur servirait de rien, s’ils ne se convertissaient pas. « Prenez garde, ajouta-t-il dans un de ses sermons, prenez garde de ne pas amoindrir les mérites de Christ ! ces scandales, qui arrivent chaque jour à nos oreilles, causeront la perte des âmes. — On fait de la vente des indulgences le plus honteux trafic. — Aussi voyez-en les effets désastreux ; la foi et la sanctification sont abandonnées ; le seigneur Jésus est méprisé ! Le peuple aveuglé s’endort dans sa propre justice ; il ne s’inquiète plus du péché, mais seulement de la pénitence et des moyens de le racheter. Si les gens ne craignaient pas le châtiment, personne n’achèterait d’indulgences, quand bien même elles ne coûteraient rien. — Plaise à Dieu que je mente en disant que les indulgences n’ont peut-être ce nom que parce que indulgere est synonyme de permittere (permettre), de sorte qu’indulgentia veut dire une permission de pécher impunément, c’est-à-dire le droit d’abandonner la croix de Christ. — Le Seigneur ne dit nulle part que le repos des âmes vienne des indulgences ; il dit qu’il est un fruit de la charité et de l’humilité. — Oh ! quels périls on prépare ainsi aux âmes ! Oh ! prêtres endormis ! Oh ! ténèbres plus qu’égyptiennes ! que penser de notre sécurité dans un malheur si profond ? » 
 
      Ainsi parlait Luther animé d’un zèle apostolique. Le peuple, après l’avoir entendu, se sentait moins pressé d’acheter la marchandise de Tetzel ; celui-ci, qui voyait diminuer sa vente, redoublait d’activité ; ses prédications étaient plus furibondes, et pour agir sur l’esprit des masses, il fit allumer un immense bûcher. « C’est là, dit-il, que je ferai brûler Luther. » 
 
      Le réformateur ne s’émut pas de cette menace, et le 15 octobre 1517 il fit afficher à la porte du château électoral quatre-vingt-quinze thèses contre les abus des indulgences et s’engagea, comme docteur, à les soutenir ; en voici quelques-unes : 
 
      « Le pape ne peut pardonner les péchés qu’au nom de Dieu. 
 
      Les prêcheurs d’indulgences se trompent en disant que le pape a le pouvoir de sauver l’homme de toutes les peines. 
 
     C’est une invention humaine de prêcher que, sitôt  l’argent résonnant dans la caisse, l’âme s’envole du purgatoire. 
 
      Tous ceux qui pensent gagner le ciel moyennant des lettres de pardon, délivrées par les hommes,  iront en enfer avec ceux qui les endoctrinent ainsi. 
 
      Assurément, sitôt que l’argent résonne dans la caisse, le gain et la cupidité augmentent ; mais le salut que peut accorder l’Église, consiste dans la grâce de Dieu. 
 
      On doit enseigner aux chrétiens, que celui qui fait du bien aux pauvres, est à préférer à celui qui achète des indulgences. 
 
      Il faut enseigner aux chrétiens, que si le pape connaissait les exactions des prêcheurs de pardon, il aimerait mieux que la basilique de Saint-Pierre tombe en cendres, plutôt que de la construire avec la chair, la peau et les os de ses brebis. 
 
      Le vrai trésor de l’Église  est le saint Évangile de la gloire et de la grâce de Dieu. 
 
      Pourquoi le pape, dans sa très sainte charité, ne vide-t-il pas le purgatoire, où tant d’âmes sont en peine ? ce serait là exercer plus dignement son pouvoir que de délivrer les âmes à prix d’argent. » 
 
      Un immense cri d’approbation, parti de tous les points de l’Allemagne, apprit à Luther qu’il ne serait pas seul à lutter contre le commerce sacrilège des indulgences. Ses thèses, traduites dans toutes les langues de l’Europe, allèrent réveiller partout l’esprit d’examen et soulevèrent, contre Rome, ces hommes de cœur et de foi qui furent les premières colonnes de la Réforme. 
 
      À la lecture des thèses du docteur de Wittemberg, Tetzel se prépara à les attaquer ; comme il avait plus de zèle que de science, il compromit sa cause en la défendant mal ; sa campagne contre Luther se borna à dresser un bûcher, sur lequel il fit brûler les thèses du docteur, et un sermon que celui-ci avait fait sur la grâce. Dans ce remarquable discours, Luther disait : « C’est une grande erreur de croire que quelqu’un puisse expier ses péchés par ses propres œuvres. Dieu nous remet nos fautes par un don de son infinie miséricorde. Il ne demande au pécheur qu’un sincère repentir et la ferme résolution de s’amender. — L’indulgence n’est que pour les chrétiens paresseux qui ne veulent pas courageusement s’exercer aux bonnes œuvres et qui ne veulent endurer aucune souffrance : l’indulgence n’est qu’une concession faite à la faiblesse humaine. 
 
      Il est possible que beaucoup de gens, auxquels ma franchise ne rapporte rien, m’appellent un hérétique ; je méprise leurs hurlements ; ce sont quelques ignorants qui n’ont jamais lu la Bible et dont les opinions sont creuses. — Qu’ils sachent qu’on ne calomnie et qu’on ne condamne personne avant de l’avoir entendu ; mais que Dieu nous a donné à tous la vraie intelligence de la vérité ! Amen ! » 
 
      Luther, par sa piété, sa science, et l’amabilité de son caractère, était devenu, pour ses élèves, un maître chéri et respecté. Ils se groupaient autour de lui comme de braves soldats autour d’un vaillant capitaine, prêts à le suivre partout, au péril de leur vie. Avec l’impétuosité naturelle à leur âge, ils rendirent à Tetzel œil pour œil, dent pour dent, en jetant dédaigneusement au feu ses thèses sur la place publique de Wittemberg. 
 
      La guerre avec Rome était déclarée, et ce que l’insouciant Léon X appelait une querelle de moines, était devenu une révolution qui devait enlever à Rome soixante-dix millions de ses sujets. 
 
    Dans notre biographie de Luther, nous avons raconté les résultats de la lutte engagée entre le pape et le réformateur, à la suite du trafic des indulgences ; quant à Tetzel, Luther essaya, mais vainement, de le ramener dans les sentiers de la vérité ; tous les appels pressants et pleins de cœur qu’il adressa à sa conscience, ne furent pas entendus ; le marchand d’indulgences était l’homme souillé qui se souille encore ; dévoré de chagrin et de honte, il finit misérablement ses jours. 
 
      L’archevêque de Mayence, qui avait spéculé sur la vente des pardons pour rembourser aux banquiers Fugger la somme considérable qu’il leur devait, laissa éclater son irritation contre Luther, qui, en crevant, comme il le disait pittoresquement, le tambour du moine, avait tari la source où ce prélat avait espéré puiser l’or et l’argent à pleines mains ; le docteur ne s’effraya pas de ses menaces, il leva noblement la tête et lui parla avec une rude franchise, au moment où le profane archevêque avait fait venir à Halle un autre vendeur d’indulgences. « Si cette infâme vente ne cesse pas sur le champ, lui écrivait Luther, je publierai mon traité contre l’idole de Halle. » 
 
      Les amis du docteur étaient effrayés de son audace ; mais lui qui ne courbait la tête que devant Dieu, ne s’effrayait pas plus de la prudence mondaine de ses amis que de la fureur de ses ennemis ; élevant la voix contre un prince qu’il appelait « un loup dévorant », le réformateur lui écrivit la lettre suivante : 
 
     « L’humble et fidèle exhortation que j’avais faite à votre Grâce électorale, ne m’avait valu de sa part que raillerie et ingratitude ; je lui ai écrit une seconde fois, lui offrant d’accepter ses instructions et ses conseils. — Quelle a été la réponse de votre Grâce ? dure, malhonnête, indigne d’un évêque et d’un chrétien. Or, quoique mes deux lettres n’aient servi de rien, je ne me laisse point rebuter, et conformément à l’Évangile, je vais faire parvenir à votre Grâce un troisième avertissement. — Vous venez de rétablir à Halle l’idole qui fait perdre aux bons et simples chrétiens leur argent et leur âme, et vous avez publiquement reconnu par là que tout ce qu’a fait Tetzel il l’a fait de concert avec l’archevêque de Mayence. Le même Dieu vit encore, n’en doutez pas, et il sait encore l’art de résister à un cardinal de Mayence, celui-ci aurait-il quatre empereurs de son côté. — C’est son plaisir de briser les cèdres et d’abaisser les Pharaons superbes et endurcis. Je prie votre Grâce de ne point tenter Dieu. — Penseriez-vous que Luther soit mort ? ne le croyez pas. Il est sous la protection de ce Dieu qui a déjà humilié le pape, et tout prêt à commencer avec l’archevêque de Mayence un jeu dont peu de gens se doutent. Que votre Altesse y prenne garde ! si l’idole reste debout, je me verrai forcé, dans l’intérêt de l’Évangile et du salut de mes frères, d’attaquer votre Éminence publiquement, comme j’ai attaqué le pape, et le monde apprendra à faire la différence entre un loup et un évêque. » 
 
      Qui n’admirerait le courage du docteur de Wittemberg, qui résiste en face à un puissant archevêque ? ah ! c’est qu’il y a dans le cœur d’un chrétien une force à laquelle rien ne résiste. — Quand Christ est pour nous, qui sera contre nous ? Dieu était visiblement avec son serviteur, auquel il faisait faire l’expérience de ces belles paroles de nos livres saints : « Quand tu passeras par les grandes eaux, elles ne te noieront point ; quand tu passeras par les flammes, elles ne t’atteindront pas. » — Honneur donc à ce grand combattant, qui ne craignait rien, parce que, comme saint Paul, sa vie ne lui était point précieuse, pourvu qu’il amène des âmes à son Sauveur. La postérité s’est prononcée entre lui et Tetzel ; elle a flétri l’homme qui vendait les pardons du pape, et placé sur un piédestal l’homme qui proclama hautement que Jésus-Christ donne gratuitement ses pardons et ne les vend pas. 
 
   L’histoire, qui fait à chacun sa part, bonne ou mauvaise, n’a pas été favorable à Léon X, dont la mémoire est inséparable de celle de Luther et de Tetzel ; elle a flétri le trafic profane et sacrilège qu’il fit des indulgences pour satisfaire au luxe de sa cour et à la dotation de l’une de ses nièces. Mais Dieu, qui sait tirer le bien du mal, se servit de ce pontife pour sauver sa chère Église, qui aurait disparu de l’Occident par les vices de la papauté, comme elle avait disparu de l’Orient par le sabre sanglant de Mahomet. Il suscita Luther, qui, comme Néhémie, tint une truelle d’une main et une épée de l’autre, et put, malgré les Samballat et les Tobija, rendre à Jérusalem ruinée ses remparts et ses tours. 
 
      Léon X vécut assez pour comprendre que le trafic des indulgences avait fait un tort irréparable à la papauté, et lui qui avait vendu tant de pardons ne s’en administra aucun et mourut jeune encore, le 30 novembre 1521, sans être muni des sacrements de son Église. 
 
      Au moment de sa mort, l’Allemagne avait divorcé d’avec Rome et favorisait les conquêtes de la Réforme au chant de cette belle hymne, sortie, paroles et musique, toute brûlante du cœur de Luther. Nous ne saurions mieux clore cette biographie qu’en transcrivant ici cette hymne, bien belle encore, quoique la traduction française n’en soit qu’un très pâle reflet. 
 
 
1
C’est un rempart que notre Dieu ;
Si l’on nous fait injure,
Son bras puissant nous tiendra lieu
Et de fort et d’armure.
L’ennemi contre nous
Redouble de courroux :
Vaine colère !
Que pourrait l’Adversaire ?
L’Éternel détourne ses coups.
 
 
2
Seuls nous bronchons à chaque pas,
Notre force est faiblesse ;
Mais un héros dans les combats
Pour nous lutte sans cesse.
Quel est ce défenseur ?
C’est toi, divin Sauveur,
Dieu des armées !
Tes tribus opprimées
Connaissent leur libérateur.
 
3
Que les démons forgent des fers
Pour accabler l’Église ;
Ta Sion brave les enfers,
Sur le rocher assise.
Constant dans son effort,
En vain avec la mort
Satan conspire ;
Pour ruiner son empire,
II suffit d’un mot du Dieu fort.
 
 
4
Dis-le ce mot victorieux,
Dans toutes nos détresses ;
Répands sur nous du haut des cieux
Tes divines largesses.
Qu’on nous ôte nos biens,
Qu’on serre nos liens,
Que nous importe !
Ta grâce est la plus forte,
Et ton royaume est pour les tiens  {2} !
 
Notes 
 
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{1} Gust. Ad. Hoff, Histoire de Luther, p.128 
 
{2} La biographie de Tetzel complète celle de Luther 
 

 

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