Zwingli

10/03/2016 11:18
Ulrich Zwingli
Description de cette image, également commentée ci-après

Portrait de Zwingli, peinture à l'huile de Hans Asper (en), 1531 ; Kunstmuseum Winterthour.

 
Nom de naissance Huldreich Zwingli
Naissance
Wildhaus (Toggenbourg)
Décès  (à 47 ans)
Kappel am Albis
Activité principale Réformateur protestant
Théologien
Pasteur
Homme de lettres
Auteur
Langue d’écriture Allemand
Mouvement Réforme protestante
Genres Exégèse
Prédication

Œuvres principales

67 Thèses (1523)

 

***

 

ZWINGLE 
 
 
 
Le premier jour de l’an de grâce 1480, sous le toit d’un simple paysan de Wildhausen, petit village du Toggenbourg, en Suisse, naissait un enfant qui devait être le réformateur de sa patrie ; on lui donna le prénom d’Ulrich. Quand l’enfant fut devenu grand, son père, frappé de son penchant pour l’étude, le confia au doyen des curés du district, afin qu’il examine quelles seraient ses capacités et ses goûts. Ce vénérable prêtre ne tarda pas à reconnaître dans le jeune pâtre une belle intelligence ; dès lors son père se décida à lui faire donner une éducation supérieure à celle qu’on recevait dans les villages de la Suisse ; il l’envoya à Bâle et le plaça à l’école de Saint-Théodore, où il apprit en peu de temps tout ce qu’on y enseignait. L’élève était le premier de sa classe par son savoir et sa piété ; il était simple et modeste ; la rudesse de ses manières était tempérée par une rare bonhomie et une grande ouverture du cœur. Sa piété, quoique peu éclairée, était réelle comme celle de Luther. Ce qu’il recherchait avant tout, c’était moins la science que le salut de son âme ; pour l’obtenir, il était prêt à tout sacrifice. 
 
      A cette époque il y avait à Berne un professeur très connu sous le nom de Lupulus ; son école, qui était la plus savante de la Suisse allemande, recevait de nombreux élèves, qui y venaient de tous les cantons allemands, pour apprendre tout ce qu’on pouvait enseigner dans ces temps à demi barbares. Zwingle y entra en 1497. Là, comme à Bâle, le jeune montagnard se fit aimer de ses professeurs et de ses condisciples. Les Dominicains de Berne remarquèrent la belle voix de l’étudiant et désirèrent se l’attacher ; il aurait probablement répondu aux désirs des moines, si son père ne s’y était opposé, à cause de la dépravation qui régnait dans les couvents ; il retira son fils de Berne et l’envoya à Vienne, où il suivit avec beaucoup de succès les cours de l’Université. 
 
    En 1502, Zwingle était de retour à la maison paternelle, ne sachant quelle serait sa vocation, mais sentant qu’il lui serait impossible de reprendre sa houlette de berger. Il se décide tout à coup à partir pour Bâle, où il se fait maître d’école pour gagner sa vie et profite de ses heures de loisir pour étudier la théologie. Les temps dans lesquels il vivait étaient extrêmement agités ; Luther, avec sa grande voix, faisait trembler le pape et appelait tous les hommes à examiner si les enseignements de l’Église romaine étaient conformes à ceux des Apôtres. Zwingle avait un grand désir de s’instruire ; il voulait connaître si tout ce que disait Luther contre Rome était vrai ; il lut la Bible, qui le prépara insensiblement à se séparer de son Église et à faire retentir dans ses belles et majestueuses montagnes, le cri de Réforme. Notre maître d’école prit ses grades théologiques, entra dans les ordres et dit sa première messe à Wildhausen, en présence de ses parents, heureux et fiers d’avoir dans leur famille un prêtre qui donnait de si belles espérances. 
 
    Les habitants de Glaris, ayant entendu parler du jeune prédicateur, voulurent l’avoir pour curé ; il accepta, après avoir longtemps hésité, craignant que cette tâche ne soit au-dessus de ses forces. Il demeura pendant dix ans au milieu de ses paroissiens, qui l’aimaient plus encore qu’ils ne l’admiraient. Leur jeune curé était austère, ne sortait de son presbytère que pour visiter les pauvres et les malades, et apprenait, chaque jour, quelque chose de nouveau, afin de pouvoir mieux instruire ses fidèles dans les voies du salut ; il leur expliquait les saintes Écritures, dans lesquelles il était devenu si savant qu’il les savait presque par cœur. Sans s’en douter, il prêchait comme un ministre luthérien. Il s’attira ainsi beaucoup d’ennemis, qui ne pouvaient lui pardonner ses prédications contre les licencieux et les libertins. Les plus acharnés contre lui étaient les prêtres, parce qu’ils étaient plus corrompus encore que les laïques ; mais tous les hommes pieux, et ils étaient nombreux, fondaient sur lui toutes leurs espérances ; « Le Seigneur, disaient-ils, se servira de notre bon curé pour régénérer l’Église. » Mais Zwingle était si loin d’aspirer au rôle de réformateur, qu’il se décida à aller vivre dans la retraite ; ses paroissiens furent dans la douleur quand ils lui virent prendre cette résolution ; « Qu’allons-nous devenir, disaient-ils, maintenant que nous ne l’aurons plus ? » Mais Dieu voulait qu’il aille se renfermer dans la solitude d’un couvent. Ce couvent était celui d’Einsiedlen  {1}, le plus célèbre de toute la Suisse à cause de sa chapelle, où l’on venait de tous les côtés, et de fort loin, adorer une image de Marie, qui avait, disait-on, le pouvoir de faire des miracles ; les pèlerins arrivaient en foule, parce que le jour de la fête de la Vierge, on accordait à chaque visiteur une indulgence plénière, au moyen de laquelle tous les péchés durent être pardonnés. L’abbé du couvent d’Einsiedlen accueillit Zwingle avec beaucoup de distinction et le nomma prédicateur du couvent ; il était là, à peine depuis quelques semaines, dans sa nouvelle retraite, lorsque, comme saint Paul, il fut outré, en voyant des pèlerins se prosterner devant la statue de la Vierge, s’imaginant être sauvés parce qu’ils étaient venus à Einsiedlen pieds nus, en chantant des cantiques et en récitant des chapelets. « Insensés, leur disait le pieux prédicateur, c’est au cœur que Dieu regarde », et il les avertissait avec une grande énergie que tout ce qu’ils faisaient ne leur servait de rien pour être sauvés, et il leur disait de s’adresser à Jésus-Christ, qui seul, par sa grâce, nous donne le pardon de nos péchés. La voix pénétrante du prédicateur, ses gestes simples, mais expressifs, la conviction profonde qui éclatait dans chacune de ses paroles, faisait une profonde impression sur l’esprit de ses auditeurs, et la première fois depuis deux cents ans, les pèlerins de Notre-Dame des Ermites, commencèrent à comprendre qu’il pourrait bien se faire que tout ce qu’ils pratiquaient pour se sauver, ne leur serve de rien ; leur conviction, à cet égard, s’augmentait de l’examen de leur cœur que Zwingle les engageait à pratiquer ; plusieurs se sentirent repris par leur conscience, et retournèrent chez eux, racontant ce qu’ils avaient entendu et la réputation du prédicateur de Notre-Dame des Ermites traversait les montagnes et arrivait jusqu’au pape, qui, n’osant lui imposer silence, chercha à le gagner par les honneurs et les flatteries. Zwingle rejeta tout avec dédain. « Avec l’aide de Dieu, disait-il aux envoyés du pontife romain, je continuerai à prêcher l’Évangile, et ma prédication ébranlera Rome. » Il le dit et le fit. 
 
      L’abbé du couvent d’Einsiedlen était un homme pieux ; il comprit son prédicateur, et fit effacer de dessus la porte de son abbaye cette inscription impie : « Ici l’on trouve la pleine rémission des péchés » ; aussi vénérables que soient les reliques aux yeux des pèlerins, il les fit enterrer comme des corps morts.
 
      Ce n’était pas seulement à Einsiedlen que régnait la superstition, elle était partout, surtout chez les Bernois, qui avaient une si grande vénération pour Sainte-Anne, qu’une confrérie avait été instituée en l’honneur de la vierge Marie, la mère du Sauveur ; elle lui avait élevé un sanctuaire et des autels qui étaient autant fréquentés que ceux du Christ l’étaient peu ; une chose manquait aux adorateurs de Sainte-Anne : ses reliques, qui appartenaient au monastère de l’île de la Saône à Lyon. Dans leur désir de posséder ce trésor, les membres de la confrérie présentèrent une requête à François Ier pour obtenir du prieur de l’abbaye qu’il cède à Berne les reliques vénérées. Le roi de France, qui se moquait des moines et se souciait fort peu des os de Sainte-Anne, fit prier l’abbé de l’île de la Saône de donner aux Bernois la tête de la mère de la vierge. Celui-ci, devant le désir du monarque, qui était un ordre, leur expédia une tête soigneusement enveloppée dans une riche étoffe de soie. L’allégresse fut grande à Berne, ses églises se parèrent comme dans leurs plus beaux jours de fête ; leurs cloches, qui sonnaient à toutes volées, apprenaient à ses heureux habitants qu’ils étaient désormais les possesseurs de l’inappréciable relique. Entre toutes les confréries, celle de Sainte-Anne se distinguait par sa bruyante allégresse, elle levait fièrement la tête, mais elle la baissa bientôt de honte et de confusion, quand elle découvrit que l’abbé du couvent de l’île sur la Saône s’était moqué d’elle et lui avait expédié une tête qu’il avait déterrée dans le cimetière de son couvent. Ce fait et plusieurs autres commencèrent à ouvrir les yeux des catholiques sur les ruses du clergé et les disposèrent à prêter l’oreille aux appels pressants de ceux qui voulaient une sainte réformation dans l’Église. Parmi ces tromperies la suivante mérite d’être mentionnée. 
 
   Dans une église d’un canton allemand suisse, il y avait la statue d’un saint qui faisait des miracles si grands et si nombreux, qu’elle excitait la convoitise des autres églises. Elle clignait des yeux, ouvrait la bouche, baissait la tête ; ceux qui étaient témoins de ces prodiges ne se lassaient pas dans leur admiration de raconter ce qu’ils avaient vu, et de tous les côtés on accourait vers l’église fortunée qui possédait un si précieux trésor. Aussi, était-elle riche, car tous les bons Suisses voulaient qu’on dise des messes pour eux sur l’autel au-dessus duquel elle était nichée. Un jour, un jeune enfant, fils du baron du lieu, s’était endormi dans un coin de la sacristie. Il se réveilla tout à coup au bruit qui se fit dans l’église. Il leva la tête et vit des pèlerins extasiés devant la statue, qui tantôt remuait les yeux, tantôt les lèvres ; lui, qui croyait au miracle comme tous les habitants du lieu, ne s’en étonna pas. Mais quelle ne fut pas sa surprise, quand il vit le sacristain, qui se croyait seul, opérer le miracle au moyen de petites ficelles qu’il tirait. Il ne dit mot, fit semblant de dormir jusqu’au moment où le compère, qui ne l’avait pas vu, sortit. Il se leva alors et se mit à tirer les mêmes ficelles, et voilà la statue clignant des yeux, ouvrant la bouche, baissant la tête, et les pèlerins qui étaient présents de pousser des cris d’admiration et de surprise. L’espiègle prit goût au jeu ; quand il voyait du monde devant la statue, il guettait le moment où le sacristain n’était pas dans l’église, pour s’introduire dans la sacristie, et là il s’amusait à tirer les ficelles. Jamais on ne parla plus des prodiges du saint qu’à cette époque ; autrefois il ne faisait des miracles que par intervalle, et maintenant il en faisait presque chaque jour, et les fidèles d’accourir de plusieurs lieues à la ronde, pour en être les heureux témoins. 
 
      Un jour le père de l’enfant donna un grand dîner, auquel assistaient l’évêque du diocèse et plusieurs dignitaires ecclésiastiques. On causa naturellement de la miraculeuse statue. Ceux qui n’étaient pas dans le secret étaient dans le ravissement. L’enfant écoutait sans mot dire et souriait ; puis il s’enhardit et dit : « Je sais comment le saint fait ses miracles », et il raconta les tours qu’il avait joués aux pèlerins. Son père, qui avait sa large part du profit que le saint rapportait à la paroisse, fronça le sourcil et lui imposa silence ; quelques jours après, il l’éloignait de la maison paternelle dans la crainte que son bavardage, en faisant découvrir la ruse, ne tarisse la source d’un impôt prélevé par l’avarice sur l’ignorance et la superstition. Cet enfant n’oublia pas la statue et les ficelles du sacristain et abjura, quand il le put, une religion dont il méprisait les ministres. 
 
    Pendant que ces choses se passaient et que Zwingle travaillait activement à la réforme des abus et des mœurs, un moine déchaussé, nommé Bernardin Samson, sortant d’un couvent de Milan, traversait le mont Saint-Gothard et venait vendre aux Suisses ses indulgences ; il en avait beaucoup et pour tous ; à Uri il en débita une grande quantité ; comme Tetzel, il vantait habilement sa marchandise, qui possédait des vertus merveilleuses ; celui qui la lui achetait argent comptant était pardonné, aurait-il tué son père, empoisonné sa mère. Il avait soin de dire aux pauvres : « Faites place aux riches, vous viendrez après. » 
 
      Ce honteux trafic scandalisait les honnêtes gens ; mais, comme depuis Adam, ainsi que l’a dit un poète, » les sots sont en majorité », ils étaient condamnés à assister en silence à cette foire, dans laquelle l’acheteur était un pauvre ignorant, et le vendeur un effronté fripon. 
 
      Du fond de son monastère, Zwingle apprit ce qui se passait à Uri. — « Méchant coquin, s’écria-t-il, je crèverai ton tambour » ; en effet, il le creva, car il parla avec tant d’éloquence contre Samson et sa marchandise, que notre carme déchaussé fut obligé de prendre la fuite, pour se soustraire à l’indignation des habitants d’Uri. 
 
      Le moine continua néanmoins à exploiter la Suisse, qu’il ne quitta que huit mois après ; il n’en partit pas à vide ; il était précédé par un char traîné par trois chevaux et chargé de l’argent qu’il avait volé. 
 
      La réputation de Zwingle devenait de plus en plus grande ; l’importante ville de Zurich désira se l’attacher et le nomma, le 11 décembre 1518, prédicateur de la cathédrale, malgré les efforts inouïs que firent les ennemis du réformateur pour s’y opposer. 
 
    Ce fut avec un grand déchirement de cœur que Zwingle quittait sa chère retraite d’Einsiedlen, où il était tant aimé et où son ministère avait porté tant de beaux fruits ; mais infatigable serviteur de son Maître, il avait appris à chercher son repos dans le ciel. — Il alla donc, avec courage, dans un champ de travail où il savait que des épreuves et des afflictions l’attendaient. Ceux qui étaient le moins disposés à se réformer, étaient les membres du clergé ; quand il arriva à Zurich, ils lui dirent qu’il devait se borner à prêcher aux fidèles la soumission à l’Église et les engager à leur donner largement de leurs biens. 
 
      Zwingle fut aussi étonné qu’indigné. « Messieurs, leur dit-il, la vie de Jésus-Christ a été trop longtemps cachée au peuple, je la lui ferai connaître et je lui expliquerai l’évangile de Saint Matthieu, chapitre par chapitre. » 
 
      A ces paroles, des murmures s’élevèrent contre lui ; mais lui, qui ne tremblait que devant Dieu, leur dit : « Ce que j’ai dit, je le ferai. » La première fois qu’il monta en chaire, une foule immense, désireuse de voir ce prédicateur si célèbre, accourut pour l’entendre ; il ne trompa pas son attente, et pour la première fois l’Évangile fut annoncé fidèlement et purement dans cette vaste église ; chacun, en sortant, disait : « Jamais on n’a entendu rien de pareil. » Zwingle leur avait parlé avec autorité, comme son maître Jésus-Christ. 
 
      Tous les hommes pieux étaient dans la joie. « Gloire soit à Dieu, disaient-ils ; celui-ci est un prédicateur de la vérité ; il sera notre Moïse et nous retirera des ténèbres d’Égypte. » Les prêtres frémissaient de colère, mais, dans leur impuissance de chasser le réformateur de sa chaire, ils étaient réduits au triste rôle de le maudire. Celui-ci continuait à prêcher avec autant de fidélité que de pureté. Une grande Église chrétienne se formait à Zurich, destinée à devenir le centre de la réformation suisse allemande. 
 
     Au milieu de ses travaux apostoliques, le réformateur tomba malade et fut obligé d’aller aux bains de Pfeffers, où il ne demeura pas oisif ; car, pour ce grand chrétien, tout était temple ; à table, dans les salons, dans les chemins, sur les places publiques, partout, il annonçait la parole de Dieu, éclairait les esprits et amenait les pécheurs aux pieds du Sauveur. 
 
      Zwingle revint à Zurich où il reprit ses travaux apostoliques et d’où son influence se répandit dans toute la Suisse allemande, faisant pour elle ce que Luther avait fait pour l’Allemagne. Aujourd’hui c’était le canton de Berne qui abolissait la messe, demain celui de Bâle …  Le pape publiait des bulles contre les séparés, mais ces fiers montagnards demeuraient inaccessibles à la crainte et se serraient autour de leur réformateur qui allait toujours en avant, plus heureux d’acquérir des âmes à Jésus-Christ qu’un conquérant d’ajouter des provinces à son royaume. 
 
      Zwingle se maria avec une femme qui lui fit goûter toutes les douceurs de la vie de famille. Le réformateur, dit M. Merle d’Aubigné, avait trouvé dans Anna Reinhardt une compagne, non seulement de sa vie, mais encore de son ministère. Tous les soirs ils lisaient ensemble la Bible. Un exemplaire des Saintes Écritures que Zwingle lui avait donné fut jusqu’au tombeau le livre favori d’Anna. Nul n’avait été plus zélé à répandre le volume sacré. Elle accueillit sous son toit avec une sainte affection les étrangers bannis pour l’Évangile. Elle remplaçait souvent Zwingle près des malades, et leur portait des remèdes, des aliments, des vêtements et des consolations ! Voilà, disaient plusieurs en la voyant passer, voilà la Dorcas des Écritures ! Le dimanche après midi elle réunissait, dans sa chambre, les femmes des pasteurs de la ville, pour s’entretenir avec elles du Seigneur, et des moyens de le servir dans la personne des pauvres, et quand les occupations de leurs époux le permettaient, tous ensemble chantaient des cantiques composés par Zwingle et Léon Juda. Telles étaient les saintes occupations qui avaient succédé dans les presbytères aux scènes de désolation des prêtres de Rome. 
 
    Il est doux de suivre par la pensée le réformateur dans l’intérieur de sa famille, de le voir entouré de sa femme, de ses enfants et de ses amis, leur expliquer la Bible et chanter avec eux ces beaux cantiques qu’il composait avec son cœur, et qui, répétés par des milliers de voix, furent quelquefois pour les villes catholiques ce que furent les trompettes des soldats de Josué pour les murs de Jéricho. Voici l’un de ces chants. 
 
 
O ! Seigneur de ton char prends toi-même les rênes,
Sans ta main il se brise et nos courses sont vaines,
Vois et regarde où nous ont mis
Les ruses de nos ennemis !
O bien-aimé pasteur, qui rachètes nos vies,
Réveille par ta voix nos brebis endormies,
Accours et de tes bras puissants
Enchaîne ces loups dévorants,
Du milieu de nos monts bannis toute amertume,
Que l’esprit des vieux temps parmi nous se rallume.
Et que notre fidélité
Célèbre à jamais sa bonté.
 
     Zwingle nous apparaîtrait dans sa vie presque sans taches, s’il avait compris que le pasteur doit demeurer étranger aux affaires politiques ; malheureusement il oublia que les armes du chrétien ne sont pas charnelles ; aussi, le jour où à son rôle de réformateur il joignit celui d’homme d’État, le mouvement religieux qui entraînait la Suisse Allemande vers la réforme s’arrêta, et Dieu montra par là qu’il n’a pas besoin de hallebardes et de canons pour avancer son règne ; nous n’entrerons pas dans des détails qui nous entraîneraient trop loin, nous dirons seulement que les cinq cantons de Lucerne, de Zug, d’Unterwald, de Schwitz et d’Altorf, opposèrent toujours une forte résistance aux idées de réforme que Zwingle voulait y faire pénétrer ; ils se montrèrent même cruels à l’égard de ceux de leurs compatriotes qui avaient abjuré les erreurs de Rome, et oubliant un jour qu’ils étaient Suisses, ils s’allièrent à l’Autriche par haine de la réforme et se décidèrent à déclarer la guerre à Zurich. Ils firent en silence leurs préparatifs pour tomber à l’improviste sur leurs ennemis, qui, d’abord, refusèrent d’y croire, mais durent se préparer à la résistance, quand le son des cors des Waldstettes  {2} leur fit comprendre que c’était sur un champ de bataille que la querelle entre Zurich et les cinq cantons devant se vider, nommèrent Zwingle aumônier de leur petite armée. Il accepta le périlleux honneur qui lui était fait ; son cœur, depuis quelque temps, était plein des plus tristes pressentiments. Une voix intérieure lui disait : « Ton dernier jour approche. » 
 
      Mais ce n’était ni le moment de faiblir, ni le moment de montrer son découragement ; l’heure du départ approchait ; il sortit de sa maison où il avait goûté les joies les plus douces de la famille ; ses enfants, ses amis s’attachaient à son manteau pour le retenir ; sa femme le tenait serré sur son cœur ; mais ses devoirs de citoyenne l’emportant sur ceux d’épouse, la faisaient s’écrier : « Le Seigneur le veut, amen ; qu’il soit avec toi, avec moi, avec les nôtres. » Les pleurs la suffoquaient : après un moment de silence, elle lui dit en tremblant : « Nous reverrons-nous ? ». « Si Dieu le veut », répondit Zwingle. Anna reprit aussitôt : « Et quand vous reviendrez, que rapporterez-vous ? ». « Après l’heure des ténèbres, la bénédiction », dit-il. C’étaient trop d’émotions pour son cœur. Il embrassa Anna et ses enfants, monta sur son cheval, s’éloigna précipitamment, et se. dirigea vers Cappel où devait se donner la bataille. 
 
    Les deux armées étaient en présence. Des deux côtés, avant d’en venir aux mains, on ploya le genou et on invoqua le Dieu des armées ; puis les trompettes donnèrent le signal du combat, et alors commença une lutte terrible, dans laquelle les Zurichois et les Waldstettes déployèrent une rare intrépidité. Qui l’emportera ? Tantôt, c’étaient les premiers qui disaient : « La victoire est à nous. » Tantôt, c’étaient les seconds qui disaient : « Nous l’emportons. » Pendant longtemps on combattit à chances égales. Mais vers la fin du jour, la fortune se déclara contre les Zurichois. Ce ne fut plus un combat, mais un massacre. Le sang coulait à flots. Vingt-cinq pasteurs, qui avaient marché à la tête de leurs troupeaux, furent immolés. Ils tombèrent sans proférer une plainte. Zwingle était au milieu de la mêlée, calme et portant partout des paroles de consolation aux mourants. Son tour arrive. Un Waldstette lui lance une pierre qui frappe si fort son casque que l’empreinte y demeure  {3}. Le réformateur chancelle et tombe ; il se relève. Deux autres coups l’atteignent à la jambe ; il chancelle de nouveau, de nouveau il se relève. Un coup de lance l’atteint ; cette fois il tombe et ne se relève plus. Il vivait cependant encore. Étendu sous un poirier, les regards portés vers le ciel : « Quel mal est cela, disait-il. Ils peuvent bien tuer le corps, mais ils ne peuvent tuer l’âme. » 
 
      Les Waldstettes qui l’avaient frappé ne le connaissaient pas ; ils s’approchent de lui et l’engagent à se confesser. Il fait un signe de tête négatif. Bientôt après il est reconnu, et d’un coup de lance le capitaine Fockinger, d’Unterwald, l’achève en lui criant : « Meurs, hérétique obstiné. » 
 
      Les Waldstettes souillèrent leur triomphe par une vengeance inutile. Ils firent le procès au cadavre du réformateur et le condamnèrent à être livré aux flammes pour cause d’hérésie. Le bourreau de Lucerne exécuta la sentence, et le peuple se jeta sur les cendres de Zwingle et les jeta aux quatre vents. Mais ce qu’il ne put détruire, ce fut cette semence évangélique que le pâtre de Wildhausen avait jeté sur le sol de sa patrie. C’est à elle que les cantons protestants doivent leur supériorité incontestable sur les cantons catholiques. 
 
    Le portrait qui est en tête de cette biographie doit dater de l’époque où le réformateur avait le cœur plein de douloureux pressentiments. Son regard est ferme, calme, mais son profil indique la tristesse profonde qui marqua la dernière étape de sa vie. 
 
      Zwingle, nous l’avons dit, commit une grande faute. Il oublia que le serviteur de Dieu ne doit pas manier l’épée de fer ; mais il ne faut pas oublier aussi que le réformateur était Suisse et que les événements, plus forts que sa volonté, le conduisirent sur ce champ de bataille de Cappel, qu’il immortalisa par sa mort et où se vérifia pour lui cette parole de l’Écriture : « Celui qui frappe par l’épée périra par l’épée. » 
 
 
Notes 
 
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{1} Ce mot signifie « Notre-Dame-des-Ermites » 
 
{2} Nom donné aux habitants des cinq cantons. 
 
{3} On voit encore à Lucerne le casque de Zwingle 
 
 
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